Evènements cardio-vasculaires chez les patients avec AOMI en diagnostic primaire ou secondaire de la maladie athéromateuse : résultats d’une étude nationale suédoise.

Titre original : 
Cardiovascular outcomes in patients with peripheral arterial disease as an initial or subsequent manifestation of atherosclerotic disease: Results from a Swedish nationwide study
Titre en français : 
Evènements cardio-vasculaires chez les patients avec AOMI en diagnostic primaire ou secondaire de la maladie athéromateuse : résultats d’une étude nationale suédoise.
Auteurs : 
Sigvant B, Hasvold P, Kragsterman B, Falkenberg M, Johansson S, Thuresson M, Nordanstig J.
Revue : 
J Vasc Surg. 2017 Aug;66(2):507-514.

Traductions & commentaires : 
Mario MAUFUS



INTRODUCTION

L’objectif de cette étude était de décrire le risque cardio-vasculaire et le traitement médicamenteux des patients dont la première localisation de la maladie athéromateuse était un diagnostic d’AOMI, et de les comparer aux patients pour lesquels le diagnostic d’AOMI suivait une maladie coronaire (MC) ou un accident vasculaire cérébrale ischémique (AVCI).

MATERIEL ET METHODE

  • Design de l’étude :

Il s’agissait d’une étude de cohorte nationale incidente, rétrospective.

Les données utilisées pour cette étude nationale provenaient de registres nationaux suédois obligatoires :

-      le registre national suédois des patients (qui couvrait plus de 99 % de l’ensemble des hospitalisations somatiques et psychiatriques)

-      et le registre suédois des prescriptions médicamenteuses (qui contenait toutes les données des médicaments prescrits et dispensés par les pharmacies en Suède).

-      ces données étaient croisées avec les autres registres via un numéro unique personnel pour chaque citoyen suédois.

 

  • Population :

Tous les patients avec une AOMI incidente, primaire (Iaire) ou secondaire (IIaire), diagnostiquée (= événement index) dans une structure hospitalière entre 2006 et 2013, étaient inclus. Les patients avec le diagnostic d’AOMI avant le début de la période étudiée étaient exclus.

Quatre types de population étaient définis :

1-    AOMI primaire (AOMI Iaire: patient avec AOMI, sans diagnostic antérieur de MC ni d’AVCI.

2-    AOMI + MC : patient avec AOMI et un diagnostic antérieur de MC, mais sans AVCI.

3-    AOMI + AVCI : patient avec AOMI et un diagnostic antérieur d’AVCI, mais sans MC.

4-    AOMI + AVCI + MC: patient avec AOMI et un diagnostic antérieur à la fois d’AVCI et de MC.

 

  • Traitement médicamenteux et observance :

Les traitements médicamenteux pour l’analyse incluaient les médicaments délivrés six mois avant et jusqu’à 30 jours après l’événement index. L’observance était basée sur le calcul du nombre de pilules délivrées.

  • Critère de jugement :

Le critère de jugement primaire était un critère composite représenté par une hospitalisation avec pour diagnostic principal un infarctus du myocarde non fatal, un AVCI non fatal, ou un décès cardio-vasculaire. Chacun de ces diagnostics devait être un diagnostic Iaire dans la classification ICD 10 (International statistical Classification of Diseases and related health problems, 10th revision).

ANALYSES STATISTIQUES

Les variables quantitatives continues étaient exprimées par des moyennes et des déviations standard pour les variables continues, des fréquences relatives et absolues pour les variables dichotomiques. Chaque patient était suivi de l’évènement index jusqu’au décès ou la fin de l’étude (31.12.2013). Le critère de jugement primaire était exploré avec une courbe de survie type Kaplan-Meier, et si le patient avait plusieurs évènements, seul le premier était pris en compte pour l’analyse. D’autres analyses étaient réalisées séparément pour chaque composant du critère principal de jugement. Une analyse des décès toutes causes confondues était également réalisée.

Afin de comparer les évènements dans les quatre sous-populations de l’étude, une analyse multivariée de la courbe de survie par modèle de Cox (avec ajustement sur l’âge, le sexe l’insuffisance cardiaque, la fibrillation atriale et le diabète) était réalisée, avec calcul des risques relatifs instantanés (Hazard Ratios, HR) et des intervalles de confiance à 95% (IC0,95).

RESULTATS

  • Population :

L’analyse du registre suédois retrouvait 141 266 patients avec diagnostic d’AOMI. Après exclusion des patients dont le diagnostic était antérieur à la période de l’étude, il restait 66 189 patients, dont la répartition était la suivante :

Sous-population

AOMI Iaire

AOMI + MC

AOMI + AVCI

AOMI + AVCI + MC

N

40 136

16 786

5 803

3 464

 

Les patients étaient suivis en moyenne 2.8 années (max 8 années), avec un total de 184 614 patients-années utilisé pour calculer les taux d’incidence.

Les patients avec atteinte polyvasculaire étaient plus fréquemment des hommes et avaient plus souvent une prévalence élevée de comorbidités, comparativement aux trois autres sous-populations.

  • Traitement médicamenteux en prévention secondaire et observance :

Globalement, les patients avec AOMI Iaire étaient moins nombreux à recevoir à leur sortie le traitement indiqué dans les recommandations, alors que les patients avec AOMI + MC étaient traités de manière plus intensive :

Sous-population

AOMI Iaire

AOMI + MC

AOMI + AVCI

AOMI+AVCI+MC

Antiagrégant plaquettaire

62 %

90 %

76 %

80 %

Statine

 

48 %

68 %

46 %

61 %

 

La population d’AOMI Iaire était celle dont la consultation amenait à une modification la plus importante du traitement médical dans les quatre sous-groupes étudiés. Ainsi, la proportion de patients ayant une faible dose d’acide acétylsalicylique était de 38 % une semaine avant le diagnostic puis 57 % trois mois après. Parallèlement, la proportion de statines augmentait de 29 % à 46 %. Seule une faible proportion de patients avec AOMI primaire (moins de 10 %) était traitée par clopidogrel. Il n’y avait pas de modification significative de la proportion de patients qui recevait un bétabloquant, un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC) ou un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine de type 2 (ARAII).

  • Risque d’évènements cardio-vasculaires et de décès toutes causes confondues :

Après un suivi d’un an, l’incidence cumulée du critère de jugement primaire pour l’ensemble de la population était de 16.6 %, avec en sous-groupes :

 

AOMI Iaire

AOMI + MC

AOMI + AVCI

AOMI+AVCI+MC

Survenue du critère de jugement Iaire

12%

21 %

29 %

34 %

Décès toutes causes confondues

16%

22 %

33 %

35 %

 

En analyse multivariée (modèle de Cox) – avec ajustement sur l’âge, le sexe, l’insuffisance cardiaque, la fibrillation atriale, et le diabète – il ressort les risques relatifs instantanés suivants (groupe avec AOMI Iaire comme référence) :

HR (IC0.95)

AOMI + MC

AOMI + AVCI

AOMI+MC+AVCI

Evènement cardiovasculaire majeur

1.42 (1.37-1.47)

 

1.87 (1.78-1.95)

 

2.01 (1.92-2.12)

 

Décès toutes causes confondues

0.98 (0.95-1.01)

 

1.50 (1.44-1.56)

 

1.32 (1.26-1.39)

 

 

  • Revascularisation des artères des membres inférieurs :

Pendant la période de l’étude et concernant les patients inclus, 23 481 procédures de revascularisation étaient réalisées, soit une incidence cumulative globale de 20.1 % à 6 mois et de 23.2 % à un an. Il n’était pas retrouvé de différence significative dans les différentes sous-populations.

DISCUSSION

Dans cette étude de cohorte nationale incidente, rétrospective, plus d’un patient sur cinq avec AOMI diagnostiquée en milieu hospitalisé décèdera dans l’année et 1/6 aura un évènement cardio-vasculaire majeur dans l’année ... mais une proportion significative de patients avec AOMI Iaire ne recevait pas le traitement médicamenteux recommandé.

Comparativement aux patients ayant survécu à un infarctus du myocarde, les patients avec AOMI ont un sur-risque de mortalité à un an (21.1 % versus 13.2 %) avec un risque d’évènement cardio-vasculaire comparable (16.6 % versus 18.3 %) [1].

Les données présentées montrent par ailleurs que les patients avec AOMI incidente pourraient avoir un risque cardio-vasculaire plus élevé que ce qui était décrit précédemment (avec cependant dans cette cohorte des patients plus âgés que dans les essais contrôles randomisés ou dans les registres antérieurs). Dans cette étude, les patients avec AOMI Iaire avaient un taux d’évènements cardio-vasculaires doublé comparativement à la population d’artériopathes de REACH (REduction of Atherothrombosis for Continued Health). Comme dans REACH, il était retrouvé une proportion plus faible de patients sous antiagrégant plaquettaire et statine en cas d’AOMI Iaire [2].

La présence d’un antécédent d’AVCI avant le diagnostic d’AOMI augmente le risque de décès et d’évènements cardio-vasculaires (taux d’évènements cardio-vasculaires à un an respectivement de 30 et 25 %), ce qui est concordant avec les données de SMART (Second Manifestations of ArTerial disease) [3].

Comparativement aux patients avec AOMI + AVCI, ceux avec AOMI + MC avaient plus souvent un traitement médicamenteux en prévention secondaire. Le taux plus élevé d’évènements cardio-vasculaires chez les patients avec AOMI + AVCI comparativement à ceux avec AOMI + MC pourrait être le résultat d’un traitement médicamenteux moins agressif mais pourrait être également le résultat du handicap fonctionnel avec perte d’activité physique.

Dans cette population d’AOMI incidente, 40 % des patients avaient déjà une atteinte athéromateuse dans un autre territoire vasculaire. Par ailleurs, Mostaza et al ont montré la présence d’une AOMI infra clinique chez plus de 30% des individus avec MC et AVCI [4].

Le suivi à long terme et le profil du traitement médicamenteux en prévention IIaire chez les patients avec AOMI prévalente en Suède montrent :

-      chez les patients un an après un infarctus du myocarde, l’utilisation :

Molécule

Pourcentage de prescription

Acide acétylsalicylique (ASA)

91 %

IEC ou ARAII

78 %

Statine

78 %

 

-      chez les patients un an après le diagnostic d’AOMI, ces pourcentages sont :

Molécule

Pourcentage de prescription

Acide acétylsalicylique (ASA)

60 %

IEC ou ARAII

40 %

Statine

50 %

 

Les limites de cette étude sont :

-      un biais de sélection, mais l’inclusion de l’ensemble des patients suédois ayant un diagnostic hospitalier d’AOMI induit une probabilité de biais de sélection plus faible comparée aux autres registres de maladies cardiovasculaires avec recrutement actif ;

-      un biais de classement sur erreur de codage, mais les analyses antérieures de cette base de données suédoise retrouvent un codage correct dans plus de 98 % des cas ;

-      un biais de classement lié au fait qu’il ne peut pas être exclu que certains patients aient eu une localisation athéromateuse diagnostiquée en soins de ville avant que le diagnostic d’AOMI ne soit enregistré sur le registre national ;

-      les données concernant les principaux facteurs de risques cardiovasculaires cliniques ne sont pas disponibles ;

-      enfin, une dernière limite de cette étude est que les codes ICD-10 utilisés ne permettaient pas de différencier les AOMI asymptomatiques des AOMI symptomatiques ni des ischémies critiques chroniques.

CONCLUSION

Malgré le diagnostic hospitalier d’AOMI et le risque cardiovasculaire élevé, beaucoup de patients avec AOMI Iaire ne bénéficient pas suffisamment d’un traitement médicamenteux en prévention secondaire. La présence d’un AVCI associé représente un sur-risque d’évènement cardio-vasculaire et de décès. Ces patients artériopathes devraient bénéficier de programmes de prise en charge des facteurs de risques cardiovasculaires, et le compte rendu d’hospitalisation envoyé au médecin traitant devrait inclure les recommandations sur les objectifs et les doses des traitements.

COMMENTAIRES

Cet article dont la population source est une population avec un premier diagnostic d’AOMI, nous montre que les patients avec AOMI Iaire sont bien à haut risque de décès toutes causes confondues et d’évènement cardio-vasculaire majeur, mais ont également en une inadéquation avec le traitement médicamenteux recommandé, versus les patients polyvasculaires.

Il existe plusieurs biais. Tout d’abord un biais de sélection persistant avec un diagnostic uniquement hospitalier et l’absence de croisement avec les données de ville. La possibilité d’avoir un diagnostic de MC ou d’AVCI non connu à l’hôpital peut être à l’origine d’un biais de classement.  Le critère de jugement primaire, composite, ne comportait que les diagnostics principaux en codage ICD-10, il se peut donc qu’il existe une sous-estimation de l’incidence de certains composants du critère de jugement primaire. Enfin il peut exister des biais de confusion liés à l’absence de données sur les facteurs de risque cardiovasculaire des différentes populations, ne permettant pas de les contrôler.

La réalisation d’une étude de cohorte aussi étendue est possible dans les pays scandinaves où la protection des fichiers est moins contraignante qu’en France et où de nombreux paramètres sont enregistrés de façon systématique : c’est le volume de la base de données qui est particulièrement intéressante ici ainsi que le croisement des données, puisque chaque individu est identifié par un seul et même numéro (équivalent à notre numéro INSEE). A titre d’exemple aux Etats-Unis, un tel type de fichier était utilisé avec le fichier municipal de Framingham pour servir de recrutement à l’enquête du même nom sur les maladies cardiovasculaires dans les années 1950.

Dans cette étude, il n’est pas possible de distinguer les patients avec AOMI symptomatique versus AOMI asymptomatique, ce qui ne permet pas d’alimenter le débat sur le bénéfice du traitement médicamenteux chez les patients asymptomatiques, avec des études discordantes.

Au final, il parait important de retenir que les patients artériopathes y compris sans autre localisation connue sont bien à très haut risque de décès et d’évènement cardiovasculaire majeur, et qu’ils sont actuellement sous-traités (voire même insuffisamment pris en charge en l’absence actuellement de diffusion des programmes de rééducation cardiovasculaire).

Références

1.            Jernberg, T., et al., Cardiovascular risk in post-myocardial infarction patients: nationwide real world data demonstrate the importance of a long-term perspective. Eur Heart J, 2015. 36(19): p. 1163-70.

2.            Alberts, M.J., et al., Three-year follow-up and event rates in the international REduction of Atherothrombosis for Continued Health Registry. Eur Heart J, 2009. 30(19): p. 2318-26.

3.            Achterberg, S., et al., Patients with coronary, cerebrovascular or peripheral arterial obstructive disease differ in risk for new vascular events and mortality: the SMART study. Eur J Cardiovasc Prev Rehabil, 2010. 17(4): p. 424-30.

4.            Mostaza, J.M., et al., [Prevalence of asymptomatic peripheral artery disease detected by the ankle-brachial index in patients with cardiovascular disease. MERITO II study]. Med Clin (Barc), 2008. 131(15): p. 561-5.