Facteurs pronostiques de la maladie de Takayasu

Titre original : 
Long-Term Outcomes and Prognostic Factors of Complications in Takayasu Arteritis: A Multicenter Study of 318 Patients.
Titre en français : 
Facteurs pronostiques de la maladie de Takayasu
Auteurs : 
Comarmond C, Biard L, Lambert M, et al; French Takayasu Network.
Revue : 
Circulation. 2017 Sep 19;136(12):1114-1122.

Traductions & commentaires : 
Olivier ESPITIA



INTRODUCTION

L’artérite de Takayasu (AT) est une artérite inflammatoire des gros troncs artériels d’origine indéterminée. Elle atteint principalement les femmes avant 40 ans avec une incidence en Europe inférieure à 0.3/million d’habitant. Elle intéresse l’aorte et ses principales branches allant d’un épaississement pariétal à l’occlusion artérielle ; elle induit également des lésions de la média pouvant évoluer vers un anévrysme. L’atteinte artérielle peut être diffuse avec une morbidité considérable.

Au cours de l’AT, l’évaluation de la progression inflammatoire de la maladie est parfois difficile pour le clinicien. Des critères ont été proposés pour apprécier cette activité [1]:

1-      Présence de nouveaux signes ischémiques (claudication, souffle vasculaire, asymétrie des pouls ou de la pression artérielle, carotidodynie, l'abolition des pouls) ;

2-      Apparition d’une nouvelle lésion artérielle ou aggravation de lésions préexistantes à l'imagerie ;

3-      Présence de signes cliniques systémiques (perte de poids, fièvre ou myalgie) ;

4-      Activité biologique de la maladie : augmentation de la vitesse de sédimentation et/ou de la protéine C réactive.

La maladie est considérée comme active si au moins 2 de ces critères sont présents et inactive dans les autres cas [1] .

Des facteurs de pronostic défavorable ont été proposés dans des séries de patients asiatiques : la présence d’une complication majeure, d’une maladie évolutive, d’une hypertension artérielle, d’une atteinte cardiaque ou d’une atteinte artérielle de type V seraient de mauvais pronostic [2]. Les facteurs pronostics de l’AT dans une population occidentale ne sont pas connus ; ainsi, l’objectif de cette étude était de rapporter la survie sans évènement, la survie sans rechute et la survie sans complication vasculaire d’une grande cohorte d’AT ; et d’évaluer les facteurs pronostiques de ces trois conditions au cours de l’artérite de Takayasu dans une population européenne.

 

METHODOLOGIE

 Cette étude est rétrospective multicentrique analysant les caractéristiques au diagnostic de patients avec une AT. Les patients inclus dans cette étude présentaient une AT remplissant les critères de l'American College of Rheumatology et/ou d'Ishikawa. Les facteurs associés à la survie sans événement, à la survie sans récidive et à l'incidence des complications vasculaires ont été évalués. La période d’inclusion était de 1970 à 2014. Le caractère progressif de la maladie a été défini par un intervalle d’au moins d’un an entre les premiers symptômes et le diagnostic d’AT.

Les complications majeures ont été définies comme la formation de microanévrisme (stade 2 de la rétinopathie), ou la pression artérielle brachiale > 200 mm Hg systolique ou > 110 mm Hg diastolique. Alternativement, une pression artérielle poplitée > 230 mm Hg systolique ou> 110 mm Hg diastolique a été utilisée, une insuffisance aortique de grade 3 ou 4 et/ou un anévrisme aortique ou artériel avec un diamètre plus de deux fois supérieur au segment adjacent.

Les complications vasculaires ont été définies comme l'occurrence d'au moins un des événements suivants : nouvelle occlusion artérielle, infarctus du myocarde et/ou insuffisance cardiaque, insuffisance aortique, anévrisme artériel débutant ou s’aggravant, apparition d'un accident vasculaire (AVC) cérébral / accident ischémique transitoire (AIT), stade terminal d’insuffisance rénale.

La rechute a été définie comme la maladie devenant active après une période de rémission nécessitant un changement de traitement.

 La survie sans événement a été définie comme le temps entre le diagnostic d’AT et la date de la première complication ischémique, de la première rechute, du décès ou de la dernière nouvelle.

 La survie sans rechute a été définie de façon identique jusqu’à la première rechute, décès ou dernière nouvelle ; et la survie sans complication vasculaire jusqu’à la première complication vasculaire.

 

RESULTATS

Cette étude rapporte 318 cas d’AT dont les principales caractéristiques sont rapportées dans le tableau 1. L’âge médian est de 36 ans ; 86,8% des AT étaient des femmes. Les patients caucasiens représentaient 37% de la population. Les principaux facteurs de risque cardiovasculaire étaient le tabagisme (28%) et les antécédents d'hypertension (26%). Selon la classification de Numano [2], le type V (atteinte panaortique et de ses branches) était le groupe le plus fréquent (49%).

Le délai médian entre l'apparition des symptômes et le diagnostic d'AT était de 0,8 an ; 45% des patients avaient un retard de diagnostic supérieur à 1 an et 23% avaient un retard de diagnostic supérieur à 4 ans. Les principales complications et données d’évolution sont présentées dans le tableau 2. La plupart des patients ont reçu des corticostéroïdes (89%) et/ou un traitement immunosuppresseur (61,5%). Une revascularisation a été réalisée chez 44% des patients. Le suivi médian était de 6,1 ans. Des rechutes ont été observées chez 42,7% des patients, des complications vasculaires chez 38,4% et des décès chez 5%.

Survie sans évènement (SsE)

En analyse multivariée, l'évolution progressive de la maladie (p = 0,007, Hazard Ratio (HR) 1.67 [1.15-2.61]) et la carotidodynie (p = 0,018 ; HR 1.77 [1.10-2.85])) étaient associées à une SsE plus mauvaise.

Survie sans rechute (SsR)

A 5 ans de suivi, 58,6% des patients avaient rechuté au moins une fois ou sont décédés. En analyse multivariée, le sexe masculin (p = 0,048 ; HR 1.84 [1.1-3.36]), l’élévation de la protéine C-réactive (p = 0,013 ; HR 2.09 [1.17-3.76]) et la présence de carotidodynie (p = 0,003 ; HR 2.36 [1.33-4.19]) étaient associés à la SsR.

Complications vasculaires

En analyse multivariée, l'évolution progressive de la maladie au diagnostic (p = 0,017 ; HR 2.03 [1.14-3.62]), l'atteinte de l'aorte thoracique (p = 0,009 ; HR 2.74 [1.29-5.85]) et la rétinopathie (p = 0,002 ; HR 3.40 [1.57-7.37]) étaient associées à une survie sans complication vasculaires.

 Dans cette cohorte, aucun impact du traitement n'a été observé sur la SsE comme sur la SsR et l’apparition de complications vasculaires.

 

Population de l’étude

(n = 318)

Ethnie (n = 233)

Caucasien

Afrique du nord

Noir

Autres

 

87 (37%)

73 (31%)

56 (24%)

17 (7%)

Facteur de risque cardiovasculaire (n = 267)

Tabagisme

Hypertension

Dyslipidémie

Diabète

 

75 (28%)

70 (26%)

35 (13%)

16 (6%)

Classification de Numano (n = 257)

Type I

Type IIa

Type IIb

Type III

Type IV

Type V

Topographie des lésions artérielles (n = 260)

Artère sous-clavière

Artère carotide

Aorte abdominale

Aorte ascendante

Crosse aortique

Artère rénale

Artère axillaire

Artère fémorale

Aorte descendante

Type de lésion artérielle (n = 263)

Sténose

Epaississement

Anévrysme

Thrombose/occlusion

 

57 (22%)

21 (8%)

26 (10%)

13 (5%)

14 (5%)

126 (49%)

 

185 (71%)

148 (57%)

114 (44%)

63 (24%)

65 (25%)

60 (23%)

52 (20%)

42 (16%)

23 (9%)

 

202 (77%)

163 (62%)

62 (24%)

50 (19%)

Signes/Symptômes au diagnostic de TA (n = 318)

Hypertension

Asthénie

Fièvre

Souffle vasculaire

Carotidodynie

AVC

AIT

Rétinopathie

Insuffisance cardiaque

Infarctus du myocarde

 

98 (31%)

84 (26%)

55 (17%)

52 (16%)

33 (10%)

19 (6%)

20 (6%)

14 (4%)

14 (4%)

7 (2%)

Présentation clinique (n = 273)

Présentation clinique aigüe

Présentation clinique progressive

 

149 (55%)

124 (45%)

Maladie inflammatoire associée (n = 318)

Maladie de Crohn

Sarcoïdose

Augmentation de la VS et/ou CRP

 

15 (5%)

14 (4%)

130 (41%)

Traitements (n = 318)

Corticostéroïdes

Biothérapie

Immunosuppresseurs

Méthotrexate

Azathioprine

Mycophénolate mofétil

Cyclophosphamide

 

283 (89%)

141 (44%)

112 (35%)

42 (13%)

7 (2%)

9 (3%)

27 (8.5%)

Revascularisation (n = 318)

Chirurgie

Intervention endovasculaire

 

92 (29%)

49 (15.5%)

 Tableau1 : Caractéristiques de la population.

 

 

Population de l’étude

(n = 318)

Rechutes (n = 136)

Nouvelle lésion à l’imagerie

Nouveau signe clinique d’ischémie

Augmentation de la VS et/ou de la CRP Manifestations cliniques systémiques

 

83 (61%)

78 (57%)

54 (40%)

13 (10%)

Complications vasculaires (n = 122)

Nouvelle occlusion artérielle

AIT ou AVC

Aggravation ou apparition d’un anévrysme artériel

Insuffisance rénale terminale

Insuffisance cardiaque

Infarctus du myocarde

Insuffisance aortique

 

51 (42%)

24 (20%)

14 (11%)

12 (10%)

8 (6%)

7 (6%)

6 (5%)

Origine du décès (n=16)

Rupture ou dissection d’anévrysme

Ischémie mésentérique

Choc septique

Embolie pulmonaire

Choc cardiogénique

Mort subite

Inconnue

 

4 (25%)

3 (19%)

3 (19%)

2 (12.5%)

2 (12.5%)

1 (6%)

1 (6%)

 Tableau 2 : Données d’évolution.

 

DISCUSSION ET COMMENTAIRES

 Il s’agit de la plus grande cohorte jamais rapportée analysant l’évolution des AT. Elle met en évidence plusieurs caractéristiques évolutives fortes :

-          La moitié des patients AT rechuteront et connaîtront une complication vasculaire à 10 ans ;

-          Le sexe masculin, le niveau élevé de CRP et la carotidodynie étaient indépendamment associés à la rechute et avec un risque 2 fois plus élevé ;

-          Certains patients sont à haut risque de complications vasculaires en présence de 2 des facteurs suivants : une présentation clinique progressive au diagnostic, l’atteinte de l'aorte thoracique et/ou rétinopathie.

 Cette étude rétrospective a quelques limites, liées à la grande période d’inclusion des patients, à l’hétérogénéité dans les prises en charge thérapeutiques et le contrôle des facteurs de risque cardiovasculaire, mais aussi liées aux techniques angiographiques qui ont changé de manière significative au fil du temps et peuvent affecter l'évaluation de l'activité de la maladie. Cependant, dans cette cohorte, 74% des patients ont été diagnostiqués après 2000, lorsque le scanner, l'IRM et l'échographie étaient disponibles pour l'évaluation de l'activité de la maladie.

 En outre, l’évaluation vasculaire globale de ces patients est importante, notamment lors des gestes de revascularisation puisque l'inflammation biologique au moment de la revascularisation est indépendamment associée à l'apparition de complications artérielles après l'intervention vasculaire (odds ratio 7.48,). Les patients présentant des complications avaient des VS, des CRP et des fibrinogènes supérieurs à ceux des patients sans complications [3].

 Cette étude sur une artérite inflammatoire rare mais avec une morbidité élevée, permet d’identifier un sous-groupe d’AT à risque de complications vasculaires ou de rechutes, permettant ainsi de proposer un suivi plus rapproché et une prise en charge plus « agressive » à ces patients.

 

Références

1          Kerr GS, Hallahan CW, Giordano J, Leavitt RY, Fauci AS, Rottem M, Hoffman GS. Takayasu arteritis. Ann Intern Med 1994; 120: 919–29.

2          Hata A, Noda M, Moriwaki R, Numano F. Angiographic findings of Takayasu arteritis: new classification. Int J Cardiol 1996; 54 Suppl: S155-163.

3          Saadoun D, Lambert M, Mirault T, Resche-Rigon M, Koskas F, Cluzel P, Mignot C, Schoindre Y, Chiche L, Hatron P-Y, Emmerich J, Cacoub P. Retrospective analysis of surgery versus endovascular intervention in Takayasu arteritis: a multicenter experience. Circulation 2012; 125: 813–9.