Prise en charge ambulatoire des embolies pulmonaires à faible risque : l’étude LoPE.

Titre original : 
Management of Low-risk Pulmonary Embolism (LoPE) Patients without Hospitalization: The LoPE Prospective Management Study.
Titre en français : 
Prise en charge ambulatoire des embolies pulmonaires à faible risque : l’étude LoPE.
Auteurs : 
Bledsoe J, Woller S, Stevens S, Aston V, Patten R, Allen T, Horne B, Dong L, Lloyd J, Snow G, Madsen T, Elliott G.
Revue : 
Chest. 2018 Aug;154(2):249-256.

Traductions & commentaires : 
Francis COUTURAUD



INTRODUCTION

L’embolie pulmonaire (EP) est la présentation clinique la plus sévère de la maladie veineuse thrombo-embolique (1,2). Pendant des décennies, le dogme était de garder hospitalisé ces patients plusieurs jours, en partie lié à l’obtention d’un INR dans la zone thérapeutique sous antivitamines K (AVK), et un alitement d’au moins 24 heures était pratiqué par crainte de récidive précoce d’EP. L’arrivée des AOD et l’identification des marqueurs pronostiques de l’EP ont permis une révolution de la prise en charge de l’EP, permettant d’envisager une sortie précoce (dans les 24 heures) d’un sous-groupe de patients sélectionnés à faible risque de décès ; les anticoagulants oraux directs (AOD) permettant en outre de s’affranchir du monitorage biologique et du risque de sous ou surdosage thérapeutique. Les recommandations internationales de l’ESC 2014 ainsi que de l’ACCP 2016 proposent ainsi une sortie précoce des patients dans les 24h à 48h suivant l’admission des patients dont le score PESI (index de sévérité de l’embolie pulmonaire) simplifié est égal à 0 (1-3). Des limites doivent être néanmoins soulignées: le score PESI est un score pronostique ayant pour objectif d’identifier les patients à faible risque de décès et non pas d’identifier les patients éligibles à une sortie précoce. De surcroît, la majorité des études ayant évalué la prise en charge ambulatoire des EP a été réalisée chez des patients traités par AVK, essentiellement dans des centres européens (1-4).

 

METHODES

Bledsoe J et collaborateurs ont réalisé une étude de cohorte prospective dans laquelle 200 patients atteints d’une EP (diagnostiquée sur des critères validés) sans critères de gravité ont été recrutés dans 5 centres hospitaliers des Etats Unis. Le principal critère d’inclusion était le score PESI classe I-II, ce qui correspond à un score sPESI à 0. Les principaux critères d’exclusion étaient : les patients à haut risque de décès, les femmes enceintes, la présence d’une thrombose veineuse profonde (TVP) proximale associée, une contre-indication à un traitement anticoagulant et un contexte social précaire.

Ces patients ont été hospitalisés entre 12 et 24 heures et traités en ambulatoire par anticoagulant (AVK ou AOD). L’objectif principal était de déterminer le risque de complications à 3 mois chez 200 patients ; le critère de jugement principal était un critère combiné incluant récidive thrombo-embolique veineuse (confirmée objectivement), hémorragie majeure et décès. Le nombre de sujet de 200 patients a été prédéterminé pour une hypothèse de moins de 3,9% du critère de jugement principal.

 

RESULTATS

Sur 1003 patients admis dans les 5 hôpitaux nord-américains, 213 patients étaient potentiellement éligibles. Treize patients ont été ensuite exclus : 6 en raison d’une TVP proximale associée, 4 en raison d’une dysfonction ventriculaire droite échographique, 1 en raison d’un choc hémodynamique et 2 autres sur avis médical. Sur les 200 patients inclus, l’âge moyen était de 44 ans, le poids moyen était de 89 kg ; l’EP était post-chirurgicale dans 20% des cas, proximale dans 2,5% des cas et sous-segmentaire dans 19% des cas. Huit patients ont présenté une élévation du dosage de la troponine ou du BNP. Le traitement anticoagulant était un AOD dans 86,5% des cas, un AVK dans 13% des cas et seul un patient a été traité par enoxaparine.

S’agissant de l’objectif principal, la fréquence d’une récidive thrombo-embolique, d’une hémorragie majeure ou d’un décès était de 0,5% (IC95% 0,2-2,24) ; le seul événement du critère était la survenue d’une hémorragie majeure pour 1 patient. Les patients rapportaient majoritairement être satisfaits de cette prise en charge ambulatoire.

 

COMMENTAIRES

En cohérence avec d’autres essais (3,4), cette étude confirme un très faible taux de décès à 3 mois chez des patients ayant une EP sans critères de gravité et traités en ambulatoire. Les apports de cette étude sont la confirmation d’un très faible nombre de complications et la faisabilité d’une prise en charge ambulatoire d’une EP à faible risque, chez des patients obèses (poids moyen de 89 kg), traités majoritairement par AOD, en Nord-Amérique.

Toutefois, cette étude comporte des limites : certains critères d’exclusion reposent sur un rationnel scientifique discutable, en particulier l’exclusion des patients ayant une TVP proximale concomitante. En outre, les patients ont tous eu une échographie cardiaque trans-thoracique, excluant ainsi ceux ayant un score sPESI = 0 et une dilatation peu symptomatique du VD (comme on peut le voir par exemple chez des sujets jeunes sportifs) ; ainsi, aucune réponse n’est apportée sur la faisabilité d’un traitement an ambulatoire d’une EP à sPESI=0 mais avec des signes échographiques cardiaques droits. Toutefois, une faible proportion de patients inclus a probablement une EP à risque intermédiaire faible voire intermédiaire élevée : 8 ont des biomarqueurs élevés et il est montré que la proportion de dysfonction VD est plus importante au scanner qu’à l’échographie cardiaque. Une des limites d’ailleurs de l’étude est de ne pas préciser le rapport VD/VG mesuré à l’angioscanner thoracique, il est probable qu’une proportion de patients ait un rapport DV/VG > 1.

Enfin, 18% des patients avaient une EP sous-segmentaire dont l’indication à un traitement anticoagulant est incertaine ; l’inclusion de ces patients dans la cohorte a le potentiel de réduire le risque de décès et de récidive thrombo-embolique.

Finalement, cette étude est cohérente avec d’autres études prospectives, mais cette population très sélectionnée ne permet pas de déterminer quels patients ayant une EP à risque intermédiaire pourraient être pris en charge en ambulatoire. Quant à la mesure de la satisfaction des patients, l’étude n’étudie pas le ressenti ni les traits de syndrome post-traumatique de stress pourtant présent chez une forte proportion de patients ayant une EP (5).

 

 

*EA 3878 (GETBO), IBSAM, CIC INSERM 1412

Département de médecine interne et pneumologie

CHU La Cavale Blanche – BREST.

 

Références

 

1-    Konstantinides SV, Torbicki A, Agnelli G, et al; Task Force for the Diagnosis and Management of Acute Pulmonary Embolism of the European Society of Cardiology. 2014 ESC guidelines on the diagnosis and management of acute pulmonary embolism. Eur Heart J. 2014; 35:3033-69.

2-    Kearon C, Akl EA, Ornelas J, Blaivas A, Jimenez D, Bounameaux H et al. Antithrombotic Therapy for VTE Disease: CHEST Guideline and Expert Panel Report. Chest 2016; 149:315-352.

3-    Aujesky D, Roy PM, Verschuren F, et al. Outpatient versus inpatient treatment for patients with acute pulmonary embolism: an international, open-label, randomised, noninferiority trial. Lancet. 2011;378:41-48.

4-    Zondag W, Kooiman J, Klok F, Dekkers O, Huisman M. Outpatient versus inpatient treatment in patients with pulmonary embolism: a meta-analysis. Eur Respir J. 2013 Jul;42:134-44.

5-    Haxaire C, Tromeur C, Couturaud F, Leroyer C. A Qualitative Study to Appraise Patients and Family Members Perceptions, Knowledge, and Attitudes towards Venous Thromboembolism Risk. PLoS One. 2015 Nov 4;10(11):e0142070. doi: 10.1371/journal.pone.0142070.