Coagulation intravasculaire localisée dans les malformations veineuses. Une revue systématique.

Titre original : 
Localized intravascular coagulation in venous malformations: A system review.
Titre en français : 
Coagulation intravasculaire localisée dans les malformations veineuses. Une revue systématique.
Auteurs : 
Han YY, Sun LM, Yuan SM.
Revue : 
Phlebology. 2021 Feb;36(1):38-42.

Traductions & commentaires : 
Julien JEANCOLAS, pour le groupe Malformations Vasculaires de la SFMV



Les malformations veineuses (MV) sont les malformations vasculaires congénitales à flux lent les plus fréquentes. C'est un réseau de veines tortueuses et ectasiques dans les tissus mous, causées par des anomalies congénitales survenues au cours du développement du système vasculaire. Elles peuvent concerner toutes les parties du corps et sont fréquemment associées à une coagulopathie, notamment dans les formes diffuses et multifocales. On parle de coagulation intra vasculaire limitée (CIVL) lorsque la coagulopathie est limitée à la malformation. Celle ci est présente dans environ 58% des MV et se caractérise par une élévation des D-dimères et des produits de dégradation de la fibrine. Le taux de fibrinogène, des facteurs V, VIII et XIII et de l’antithrombine (AT) sont diminués avec  parfois une discrète thrombopénie. Ces anomalies chroniques de la coagulation induisent des phénomènes micro-thrombotiques suivis de calcifications (phlébolithes) ainsi que des douleurs. Ces CIVL peuvent évoluer en coagulation intravasculaire disséminée (CIVD), notamment lors d'exérèse chirurgicale, de sclérothérapie, d'embolisation, de traumatisme, d'infection ou de traitement. Les CIVD aggravent les douleurs et peuvent parfois mettre en jeu le pronostic vital (saignements majeurs ou événements thrombotiques sévères).

 

Dans cet article, les auteurs passent en revue les manifestations cliniques, la physiopathogénie, les méthodes diagnostiques et les traitements des CIVL dans les MV.

MANIFESTATIONS CLINIQUES

Les MV sont un ensemble de veines dilatées semblables à une masse spongieuse qui peuvent intéresser de multiples tissus ou organes. Les patients présentent parfois des douleurs matinales, au froid ou lors d'un exercice prolongé. Lorsqu'une CIVL est associée, il apparaît de manière significative plus de douleurs chroniques ainsi qu'une gêne en rapport avec la stase veineuse. Dans les formes sévères, on retrouve selon les localisations, un préjudice esthétique, une obstruction des voies aériennes supérieures, une inflammation, des thromboses, des douleurs chroniques et des événements hémorragiques récurrents (hémoptysies, épistaxis, hémorragies digestives...). En cas d'atteinte articulaire, les saignements répétés peuvent mettre en péril l'articulation et dans les atteintes neurologiques, elles peuvent aboutir à des paresthésies et à des névralgies. La fréquence des douleurs est plus importante chez les femmes que chez les hommes, probablement en lien avec les récepteurs oestrogéniques de la paroi artérielle.

Des CIVL peuvent également apparaître dans les malformations vasculaires multifocales telles que le blue rubber bleb naevus syndrome (syndrome de Bean), caractérisé par de nombreuses malformations veineuses diffuses cutanées et profondes responsables d'anémie chronique régénérative et d'asthénie. La CIVL est toujours bien tolérée dans la vie quotidienne, mais elle peut potentiellement évoluer vers des événements thrombo-hémorragiques sévères (TVP, EP, parfois CIVD). Ce risque augmente au cours d'un geste de sclérose, d'une résection chirurgicale, de fractures, de grossesse, de sepsis ou d'une immobilisation prolongée. Les troubles de la coagulation affectent également les autres anomalies vasculaires telles que les angiomes en touffes ou l'hémangiome kaposiforme, aboutissant au phénomène ou syndrome de Kasabach-Merritt (SKM) caractérisé par une thrombocytopénie sévère. La CIVD apparaît également comme un phénomène paranéoplasique dans différentes pathologies néoplasiques congénitales des tissus mous similaires à une tumeur vasculaire. Par exemple, une élévation des D-dimères avec thrombocytopénie transitoire peut être retrouvée chez les nouveaux nés qui présentent un rapidly involuting congenital hemangioma (RICH). Il est vital de bien distinguer ces phénomènes pour pouvoir adapter les traitements. Les D-dimères sont essentiels pour évaluer et diagnostiquer une composante veineuse dans une malformation syndromique combinée. Typiquement, ils ne sont pas élevés dans les MAV (malformations artérioveineuses), le syndrome de Parkes-Weber, les malformations capillaires diffuses et les malformations lymphatiques.

PATHOGENESE

La mutation TIE2* joue un rôle majeur dans la diminution de recrutement de la cellule musculaire lisse des vaisseaux, ce qui aboutit donc à une dysplasie, une faiblesse et une distorsion des parois veineuses. Dans le système veineux anormal, le flux veineux est lent voire stagnant, ce qui déclenche une cascade fibrinolytique aboutissant à une activation du système de la coagulation, et la transformation de fibrinogène en fibrine. En conséquence de la production inadéquate de ces facteurs de la coagulation, les patients atteints de MV sont exposés à un risque accru de complications hématologiques tels que des hémorragies, des thromboses ou la combinaison des deux. La pathogenèse semble être multifactorielle, mais elle est encore mal connue. Une hypothèse probable est la triade de Virchow qui associe la stase veineuse à la lésion de la paroi veineuse et à l'état d'hypercoagulabilité. Les anomalies structurelles et fonctionnelles dans ces cellules endothéliales joueraient également un rôle pouvant conduire à des interactions entre les cellules sanguines, puis exposition du collagène sous endothélial et formation de thrombine. Le fibrinogène est alors transformé en fibrine qui va former le clou plaquettaire et conduire à une agrégation plaquettaire irréversible, ce sera le début de la thrombose. Une autre hypothèse serait que les anomalies de structure et les changements de diamètre du vaisseau engendreraient des anomalies de flux (induiraient un shear stress) aboutissant à l’agrégation plaquettaire et donc la thrombose, ou interféreraient avec l'adhésion plaquettaire et donc des hémorragies. En conclusion, les anomalies de structure et de fonction des cellules endothéliales associées au phénomène de stase sanguine seraient les principaux responsables de la CIVL dans les MV.

DIAGNOSTIC

Le diagnostic des MV repose sur la clinique, les examens biologiques et l’imagerie.

Sur le plan biologique, une NFS avec plaquettes et un bilan de coagulation (TP/TCA ; INR ; fibrinogène ; AT ; D-dimères) permettent de connaître le statut de coagulation du patient. En effet, 42 à 58% des patients ont des D-dimères augmentés (dont 25% avec un taux > 1000 ng/mL).  Les taux de fibrinogène et de plaquettes sont parfois abaissés mais variables. La chute du taux de plaquettes et des facteurs de coagulation suggère une transformation en CIVD.

L'élévation du taux de D-dimères est en corrélation avec la gravité de la CIVL, ainsi que la surface et la profondeur de la MV (spécificité 96.5%, sensibilité 43,5%).

En imagerie, on observe dans 70% des cas un hypersignal des lacs veineux en IRM T2 Fat Sat. On retrouve plus de thrombus dans les grandes que dans les petites malformations. L'IRM de diffusion reflète les mouvements aléatoires des protons de l'eau perturbés par les macromolécules. On détermine le coefficient de diffusion aléatoire (ADC), couramment utilisé pour l'évaluation des cancers de la tête et du cou. L'ADC varie en fonction de la densité cellulaire des lésions. En IRM, l'ADC est plus bas dans les MV avec CIVL que dans celles sans CIVL. Il est de 1.28 ± 0.18x10-3mm²/s dans les MV avec CIVL vs 1.60 ± 0.18x10-3mm²/s dans les MV sans CIVL. Donc lorsque la valeur d'ADC est inférieure à 1.45x10-3mm²/s, les sensibilité-spécificité pour identifier une MV avec CIVL sont respectivement de 84.6 et 82.8%. Employer l'ADC pour prédire l'existence d'une CIVL associée à la MV permet d'être non invasif, rapide, non irradiant et il n'est pas nécessaire de réaliser d'injection de produit de contraste. Les principaux facteurs de risque indépendants dans les analyses multivariées pour rechercher des CIVL étaient l’étendue de la malformation, la profondeur et la présence de thrombus. On retrouvait un odd ratio (OR) à 2.82 lorsque les MV avaient une surface supérieure à 10 cm² et un OR à 3.9 en présence de phlébolithes. Les lésions profondes présentaient un risque trois fois plus élevé d'avoir des D-dimères augmentés. Et 91% des malformations viscérales présentaient un volume important, un flux sanguin ralenti et des anomalies de la coagulation, ce qui prédispose aux CIVL.

TRAITEMENT

Les objectifs de traitement sont de prévenir les complications, diminuer les douleurs et augmenter la qualité de vie des patients.

Les HBPM qui inhibent indirectement le Xa et le IIa via l'antithrombine sont le meilleur choix d'anticoagulation. Elles ont montré une diminution de la douleur, des complications thrombohémorragiques et une amélioration des paramètres biologiques (les HBPM diminuent les D-dimères, mais en revanche pas de manière significative le fibrinogène). Il est parfois discuter une anticoagulation à dose préventive chez les patients qui ont présenté un événement thromboembolique documenté. Les préconisations thérapeutiques sont controversées mais il est admis qu'un traitement préventif par HBPM en sous-cutané doit être mis en place 10 jours avant et poursuivi 20 jours après une intervention. Les risques d'injections prolongées d'HBPM sont la thrombocytopénie modérée et l'ostéoporose. Elles peuvent parfois poser problème chez les enfants qui ont une phobie des aiguilles.

Le dabigatran est un inhibiteur sélectif et direct de la thrombine aussi efficace que les HBPM pour maintenir la concentration de plaquettes et de fibrinogène dans des valeurs normales, avec l'avantage d'être pris oralement. Des faibles doses de dabigatran ont montré une balance bénéfice-risque favorable chez les patients avec une MV étendue et un haut risque thrombotique.

De plus, le lancement récent de l'idarucizumab (Praxbind®), un anticorps monoclonal pour reverser l'effet anticoagulant du dabigatran, permet une utilisation plus sécurisante.

L'aspirine dans les CIVL ne montre pas de diminution des complications thrombotiques mais augmente les risques d'hémorragie majeure notamment au cours des interventions chirurgicales. Les AVK diminuent les taux des facteurs de la coagulation mais ne préviennent pas la formation de thrombus. Le rivaroxaban étant moins contraignant et moins invasif, il est admis comme alternative aux HBPM, bien qu'il augmente le risque d'hémorragie.

Dans beaucoup de situations, la compression élastique permet de stopper les saignements, diminuer la douleur et les ulcères ; néanmoins il n'y a pas de preuve évidente qu'elle permette de réduire le risque de CIVL.

Le laser pulsé est un traitement facile pour traiter les microlésions de surface récurrente comme dans le syndrome de Bean.

Le traitement chirurgical est indiqué dans les atteintes esthétiques mais il peut exacerber la CIVL et parfois aboutir à une CIVD. Dans certaines atteintes sévères, l'amputation peut être nécessaire.

La sclérothérapie peut créer une inflammation et faire augmenter modérément le taux de D-dimères, ce qui est également corrélé avec son efficacité. L'éthanol est l'agent sclérosant le plus couramment rapporté. Bien qu'il soit efficace, le taux de complication est élevé, de l'ordre de 27%. Une hémoglobinurie transitoire apparaît généralement après la sclérose et le cartilage peut être endommagé pendant le traitement. Les autres complications sont la toxicité cardio-pulmonaire, la neurotoxicité, l'inflammation des tissus locaux, la nécrose, les paralysies des nerfs périphériques et parfois des embolies pulmonaires fatales. Des alternatives moins puissantes mais moins toxiques sont possibles telles que le sodium dodecyl sulfate (SDS), le polidocanol, le sodium morrhuate, la bléomycine et les cyanoacrylates. Les résultats de la sclérothérapie montrent 75% de réduction de volume de la lésion six mois après la sclérose.

Le sirolimus (agent anti-angiogénique) est également utilisé et semble réduire les douleurs, les saignements, la taille de la lésion ainsi que le préjudice esthétique. Il réduit le taux de D-dimères et d'événement de CIVL. Il est donc utilisé en traitement adjuvant à la chirurgie afin de prévenir le risque de complications thrombotiques et hémorragiques. On constate une amélioration de la qualité de vie sur le long terme. Cependant, il peut induire une immunosuppression, une hypertriglycéridémie, une hyperglycémie avec résistance à l'insuline, une hypercholestérolémie, une toxicité hématologique, un risque accru d'infection et de cancer.

En résumé, pour le traitement des MV et  en complément des anticoagulants, de la compression et des antidouleurs, les différentes options thérapeutiques sont : la sclérothérapie, le traitement par laser endovasculaire, la chirurgie, le radiologie interventionnelle et le sirolimus.

Les lésions gastro-intestinales symptomatiques devraient être traitées en première intention par traitement conservateur, supplémentation en fer et transfusion si nécessaire. Les MV touchant les articulations devraient être réséquées par endoscopie. Le traitement des CIVL dans les MV repose sur une détection précoce et un contrôle régulier. Le principe du traitement est d'améliorer la qualité de vie, diminuer les douleurs sur le processus thrombotiques et prévenir le risque de complication hémorragique. On manque actuellement de données pour avoir des guidelines.

CONCLUSION

Depuis la découverte des complications de CIVL dans les MV, il y a eu peu d'études sur les facteurs déclenchants et les traitements. Les manifestations cliniques sont les douleurs récurrentes, les zones de nécroses cutanées et parfois la transformation en CIVD. De nombreux investigateurs ont relevé des CIVL dans les MV diffuses ou profondes, avec des phlébolithes et un taux de D-dimères élevé. Ce dernier est une bonne approche pour distinguer les formes simples et les formes syndromiques et évaluer l'efficacité d'un traitement par sclérose. Il n'y a pas de donnée prospective sur les mécanismes spécifiques de la CIVL, des études sont donc nécessaires. Les hypothèses les plus probables semblent être les anomalies de structure et de fonction de l'endothélium associées à un phénomène de stase. Actuellement, on associe le traitement de la MV à des injections d'HBPM pour contrôler la CIVL, bien que d'autres traitements alternatifs soient en cours d'essai. Des recherches pour clarifier le mécanisme exact des troubles de la coagulation permettraient de mieux cibler les traitements dans ces MV.

DISCUSSION

Cet article permet de souligner l'importance du dépistage des CIVL dans les MV. Il souligne bien l'importance des D-dimères notamment lors du diagnostic et préalablement au geste (mesures de précautions). Il rappelle également les effets iatrogènes que peuvent avoir les traitements, notamment chirurgicaux (transformation d'une CIVL en CIVD) qui sont à considérer en dernière intention. Le sirolimus est une option qui peut être proposée lorsque les autres traitements ne sont pas envisageables et que l'atteinte est sévère. On aurait souhaité que les auteurs mettent plus en avant l'intérêt des concertations pluridisciplinaires dans la prise de décision chez ces patients, pour lesquels il n'y a pas de Guidelines. En tout cas, il reste encore beaucoup d'études à réaliser et notamment pour évaluer l'efficacité de la compression veineuse sur la qualité de vie et la prévention des complications dans les MV avec CIVL.

 

*Le TIE2 (tyrosine kinase with immunoglobulin and EGF homology domains) ou TEK est, avec le TIE1 l'un des deux récepteurs des cellules endothéliales, et est impliqué dans le contrôle de l'angiogenèse. C'est un récepteur aux angiopoïétines Ang-1 et Ang-2. Son gène est le TEK situé sur le chromosome 9 humain.