Comparaison entre un anti Xa oral et une HBPM pour traiter les patients avec maladie thromboembolique veineuse et cancer : résultats de l’étude randomisée SELECT-D.

Titre original : 
Comparison of an Oral Factor Xa Inhibitor With Low Molecular Weight Heparin in Patients With Cancer With Venous Thromboembolism: Results of a Randomized Trial (SELECT-D).
Titre en français : 
Comparaison entre un anti Xa oral et une HBPM pour traiter les patients avec maladie thromboembolique veineuse et cancer : résultats de l’étude randomisée SELECT-D.
Auteurs : 
Young AM, Marshall A, Thirlwall J, Chapman O, Lokare A, Hill C, Hale D, Dunn JA, Lyman GH, Hutchinson C, MacCallum P, Kakkar A, Hobbs FDR, Petrou S, Dale J, Poole CJ, Maraveyas A, Levine M.
Revue : 
J Clin Oncol. 2018 Jul 10;36(20):2017-2023.

Traductions & commentaires : 
Marie-Antoinette SEVESTRE-PIETRI



Cet article présente les résultats de SELECT-D, étude randomisée, ouverte, qui a comparé pendant 6 mois un anti Xa oral (rivaroxaban) avec la daltéparine, qui est le traitement de référence en cas de cancer. Les critères de jugement étaient la survenue d’une récidive ou d’une complication hémorragique.

 

MATERIEL ET METHODES

Il s’agissait donc d’une étude multicentrique, ouverte, réalisée au Royaume Uni, chez des patients qui avaient une embolie pulmonaire symptomatique ou non ou une TVP proximale symptomatique dans le cadre d’un cancer actif. Le cancer actif était défini comme : un cancer diagnostiqué depuis 6 mois ou en cours de traitement depuis 6 mois au moins, ou encore un cancer considéré comme évolutif. Les patients devaient avoir plus de 18 ans, peser plus de 40 kg, avoir un score ECOG inférieur ou égal à 2 et avoir une fonction rénale ou hépatique correcte. Les critères d’exclusion étaient un traitement par aspirine à des doses supérieures à 75 mg par jour, un ATCD thromboembolique ou un antécédent de saignement actif ou encore un risque de saignement majeur (plaquettes inférieures à 50.000/mm³ au moment de l’inclusion par exemple)

Une stratification en fonction du stade du cancer, du taux de plaquettes (supérieur à 350.000/mm³), du type de MTEV (symptomatique ou pas) et du type de tumeur (à haut risque thrombotique ou pas) était réalisée.

Les patients recevaient donc daltéparine 200 UI /kg/j pendant un mois puis 150 UI /kg/j pendant les 5 mois suivants ou rivaroxaban 15 mgx2 par jour pendant 3 semaines puis 20 mg/j pendant les cinq mois suivants. Le suivi était de 2 ans avec une évaluation clinique à 3 mois, 6 mois et un an. Les patients qui avaient reçu du rivaroxaban et avaient une obstruction résiduelle à l’écho-Doppler de contrôle à l’arrêt du traitement pouvaient continuer le traitement pendant encore 6 mois ou recevoir un placebo. Tous les évènements si non adjudiqués étaient revus pas un comité indépendant du type de traitement reçu.

Le critère de jugement était une récidive thromboembolique avérée symptomatique ou non, ainsi que des évènements tels que saignements majeurs ou mineurs au cours du suivi.

 

ANALYSE STATISTIQUE

Une étude pilote de 530 patients était envisagée, en formulant l’hypothèse d’un taux de MTEV de 10% à 6 mois. Un 2ème échantillon de 300 patients devait permettre une étude de durée de traitement prolongée.

Résultats

Entre septembre 2013 et décembre 2016, 2060 patients ont été évalués et 670 ont été approchés pour participer à l’essai. Parmi eux, 264 patients refusèrent de participer à l’essai.

Les caractéristiques des patients étaient identiques dans les deux groupes. On notait un taux de 52% d’embolie pulmonaire asymptomatique parmi les événements permettant l’inclusion.

Les cancers représentés étaient en majorité des cancers colorectaux, du sein et du poumon, régulièrement répartis dans les deux groupes.

Au total, 406 patients ont participé et seulement 216 patients ont terminé les 6 mois de traitement. Les principales raisons d’interruption du traitement étaient le décès du patient ou le refus de poursuivre l’essai.

En septembre 2016, le DSMC (comité de sécurité) décida de clore le deuxième groupe de patients prévus du fait d’un taux de recrutement faible (seulement 90 patients inclus), et également de réduire le nombre total de patients inclus à 400 du fait d’un recrutement très lent. Après les 220 premiers patients, le comité de sécurité ne releva pas d’excès de saignement majeur dans le groupe des patients sous rivaroxaban mais une tendance non significative à des saignements non majeurs dans ce groupe chez les patients présentant un cancer de l’œsophage ou gastrique, ce qui fit exclure les patients avec ce type de cancer des inclusions.

A 6 mois, 18 patients sous daltéparine soit 11% (95% :7-16) ont présenté des récidives thromboemboliques et 8 patients sous rivaroxaban soit 4% (IC 95%, 2-9) [HR 0,43 ; IC 95%, 0,19-0,99]. Il y a eu une EP fatale dans chaque bras.  Pour les saignements, 6 patients ont présenté des saignements majeurs sous daltéparine soit 4% (IC 2-8) et 11 patients sous rivaroxaban soit 6% (IC 3-11) [HR 1,83 ; IC 95%, 0,68-4,95). Pour les saignements non majeurs mais cliniquement pertinents, 7 patients ont présenté des saignements non majeurs dans le groupe daltéparine soit 4% (IC 2-9) contre 25 patients dans le groupe rivaroxaban soit 13% (IC 9-19) [HR 3.76 ; IC95%, 1.63-8.69]. Cent quatre patients sont décédés pendant le suivi, ce qui fait une survie à 6 mois de 70%, égale dans les deux groupes.

Au total, l’essai select D montre que le taux de MTEV est inférieur à 10 % chez les patients suivis pour un cancer évolutif et traités par daltéparine ou rivaroxaban. Sous rivaroxaban, il y a moins de récidive thromboembolique que sous daltéparine mais il y a un peu plus de saignements majeurs et plus de saignements non majeurs mais cliniquement pertinents. Les patients avec cancer gastrique ou œsophagien sont à plus haut risque de saignement et ont été exclus des critères d’inclusion au cours de l’essai. Il n’y a pas eu par contre de saignement intra crânien excessif dans les deux groupes.

 

COMMENTAIRES

Sur le fond, l’idée de comparer le traitement de référence injectable au rivaroxaban est très bonne car il s’agit souvent de patients nécessitant un traitement prolongé qui est source d’inconfort lorsqu’il est injectable et qu’au delà de 6 mois, la prescription d’un traitement injectable repose sur des preuves modestes. Malheureusement, l’essai Select D ne permet pas de répondre complètement à la question. Les difficultés de recrutement de l’étude pilote montrent que malgré un screening important, beaucoup de patients n’ont pas pu être inclus dans l’étude. Ensuite, il y a manifestement un risque de saignement digestif plus important dans le groupe rivaroxaban en particulier chez les patients avec cancer digestif haut, ce qui limite leur utilisation. Ces résultats sont d’ailleurs corroborés par l’essai Hokusai cancer qui trouve des résultats identiques. Enfin, il y a moins d’évènements thromboemboliques sous rivaroxaban mais beaucoup de ces évènements sont des EP asymptomatiques dont le potentiel évolutif est plus mal connu.

Au total, moins d’événements thromboemboliques sous rivaroxaban en cas de cancer au cours du suivi au prix de saignements plus importants chez tous les patients. Le profil des patients qui bénéficieront du rivaroxaban par rapport au traitement de référence est encore mal défini à ce jour.