Échogénicité de la plaque carotidienne et risque d’accident vasculaire cérébral dans les sténoses carotidiennes asymptomatiques: une revue systématique et une méta-analyse

Titre original : 
Plaque echolucency and stroke risk in asymptomatic carotid stenosis. A systematic review and meta-analysis.
Titre en français : 
Échogénicité de la plaque carotidienne et risque d’accident vasculaire cérébral dans les sténoses carotidiennes asymptomatiques: une revue systématique et une méta-analyse.
Auteurs : 
A Gupta, Kesavabhotla K, Baradaran H, Kamel H, Pandya A et al.
Revue : 
Stroke 2015 ; 46:91-97.

Traductions & commentaires : 
Christophe Seinturier (avec l’aimable collaboration de JM BAUD et M DADON).



Introduction

2 grandes études contrôlées randomisées conduites dans les années 90 (ACAS et ACST 1,2) ont montré que l’adjonction  de l’endartériectomie carotidienne au traitement médical était efficace pour réduire le risque d’AVC ipsilateral chez des patients avec une sténose carotidienne d’au moins 60%. Cependant le bénéfice était minime avec dans le groupe médical un risque d’annuel d’AVC unilatéral de 2% avec une réduction du risque absolu de seulement 1% par an par l’endartériectomie. Ce bénéfice pourrait être encore moindre actuellement du fait des progrès du traitement médical anti athéromateux (statines notamment 3,4) et de la réduction du risque d’AVC qui en a résulté (actuellement de l’ordre de 1% par an). 

Il apparait ainsi nécessaire de mieux identifier les patients avec sténose asymptomatique à haut risque d’AVC ipsilateral qui pourraient bénéficier d’une chirurgie.

La vulnérabilité de la plaque apparait comme un des paramètres péjoratifs par le risque d’embols à partir d’une plaque instable. Au plan anatomopathologique, cela se traduit par un cœur lipidique important, une enveloppe fibreuse mince ou rompue ainsi que la présence de cellules inflammatoires, d’ulcérations et d’hémorragies intraplaque. L’identification de ces caractères en imagerie à une grande importance  et l’échographie de la plaque carotidienne a la capacité de pouvoir apporter cette information. En particulier, les plaques hypoéchogènes (echolucent pour les anglo-saxons) ont été associées à un risque accru d’AVC homolatéral. Plusieurs approches de caractérisation ont été décrites :

  • de manière qualitative selon la classification de Geraloukos 5.

Type 1 : uniformément anéchogène, moins de 15%  d’échos intenses

Type 2 : essentiellement an ou hypoéchogène hétérogène, < 50% d’échos intenses

Type 3 : essentiellement iso ou hyperéchogène hétérogène, > 50% d’échos intenses

Type 4 : uniformément iso ou hyperéchogène

Type 5 : lésion trop calcifiée pour être classée autrement 

  • de manière plus quantitative par la mesure du niveau de gris médian de la plaque (GSM 6), cf article de M Dadon dans ce numéro par l’utilisation de logiciel Adobe (et LMV 20 septembre 2012) ;
  • ou plus récemment par l’utilisation de programmes dédiés étudiant la présence de zones sombres dans la plaque près de la lumière 7 mais avec l’utilisation de logiciels complexes.

Enfin l’échographie de contraste de plaque par injection de SonoVue® (2.5cc) permet d’identifier les plaques prenant le contraste, ce qui correspond à une néovascularisation de la plaque 8.

 

 

 

Objectifs

Les auteurs de cet article ont voulu effectuer une revue systématique de la littérature et une méta-analyse pour établir plus précisément le caractère prédictif de l’échogénicité de la plaque sur le risque d’AVC ipsilatéral (accident constitué et non transitoire).

Méthodes

Les auteurs ont recherché dans la littérature les études de langue anglaise comportant plus de 30 patients avec une étude écho-Doppler de la plaque (sténosante ou non) chez des patients asymptomatiques d’AVC homolatéral et avec un suivi de plus de 12 mois. La survenue d’un AVC homolatéral dans le suivi devait être diagnostiquée cliniquement.

La méta-analyse réalisée  s’est employée à calculer un risque relatif à partir des données brutes de la littérature (issues des articles ou collectées auprès des auteurs) et à présenter les caractères d’échogénicité de manière binaire (plaque échogène ou plutôt hypoéchogène). Les auteurs ont réalisé une sous analyse sur les plaques sténosantes à plus de 50% et ont aussi étudié trois sous-groupes définis à priori selon l’aveugle ou non des auteurs par rapport aux caractéristiques de la plaque lors de l’évaluation des événements cliniques, selon la détermination subjective ou logicielle de l’échogénicité et enfin selon la date de publication, avant ou après 2000.

Résultats

5409 abstracts ont été étudiés dont seulement 8 ont été analysés parmi lesquels 2 études multicentriques internationales (ACES ET ACSRS). Parmi les patients étudiés, il était considéré une prédominance du sexe masculin (de 43% à 84.2%), un âge moyen compris entre 64 et 72.6 ans et un suivi de plus de 21.8 mois. Une hétérogénéité était constatée entre les études sur le degré de sténose étudié (composition variable entre plaque non sténosante et sténose modérée (50 à 69%) ou de haut grade (> 70%)) ainsi que sur la définition de l’AVC ipsilatéral et notamment sur la distinction entre AVC et AIT. L’étude de la plaque était réalisé en aveugle dans 5 études sur 8 et des défauts méthodologiques étaient assez fréquemment retrouvés : insuffisance ou absence de description des perdus de vue dans 5 études, insuffisance de données sur le nombre de revascularisations chirurgicales. Les critères de caractérisation des plaques sont détaillés dans le tableau 1.

Résultats incluant tous les patients (avec ou sans sténose)

Soit une analyse sur 7557 sujets avec un suivi de 37,2 mois. Un risque relatif de 2.31 (IC95% 1.58 - 3.39; p<0.001) était retrouvé entre le caractère hypoéchogène et le risque d’AVC ipsilateral. 23% des sujets avaient une plaque hypoéchogène. Le risque cumulé d’AVC ipsilateral était de 5.7% comparé à 2.4%.

Résultats pour les sténoses > 50%

Soit une analyse sur 2095 sujets avec un suivi moyen de 29.7 mois. Un risque relatif de 2.61 (IC95% 1.47 – 4.63; p = 0.001) était retrouvé. 31% des patients avaient une plaque hypoéchogène avec un risque cumulé d’incidence d’AVC de 10.3% versus 4.1%.

Les auteurs n’ont pas retrouvé d’influence des sous-groupes : études postérieures à 2000, aveugle sur l’analyse de la plaque, analyse subjective ou logicielle.

Auteur et année

Revue

Nbre de  patients étudiés

Equipement

Technique de mesure de la sténose

Définition de l’échogénicité de plaque

O’Hollerhan 1987

Am J Surg

293

Non précisé

Combiné écho (section transversale) et Doppler

Qualitatif

Langsfeld 1989

J Vasc Surg

319

Hoffrel model 518 (sonde 7.5 MHz) ; medasonics model SPA 25

Combiné écho (section transversale) et Doppler

Qualitatif

Type 1 : de prédominance hypo échogène

Type 2 : lésion échogène avec zones hypo échogènes

Polak 1998

Radiology

4886

Sonde 6.7 MHz

Doppler

Qualitatif : échogénicité définie par rapport à la lumière

Mathiesen 2001

Circulation

177

Sondes 5-7Mhz

Doppler

Qualitatif (type 1 ou 2) : échogénicité définie / lumière

Gronholdt 2001

Circulation

111

Echo haute résolution et analyse d’image informatisée

Doppler

Qualitatif : GSM< 74

Nicolaides 2005

Vascular

1092

Sondes 4-7MHz

Combiné Doppler et morphologiques dérivé NASCET et ECST

Qualitatif :

Type 1 : hypo échogène uniforme, <15% échos brillants

Type 2 : surtout hypo échogène, 15 à 50% occupé par échos brillants

Topakian 2011

Neurology

435

Dépendante du centre

Critères locaux

Qualitatif :

Type 1 : hypo échogène uniforme

Type 2 : surtout hypo échogène, > 50% plaque

Silvestrini 2013

J Cereb Blood Flow Metabol

621

Philips IU22

Critères dérivés NASCET

Qualitatif ; uniformément hypo échogène

Tableau 1 : critères de caractérisation des plaques en échographie

 

Discussion des résultats par les auteurs :

Le caractère hypoéchogène d’une plaque carotidienne confère un surrisque d’AVC homolatéral avec un risque relatif de 2.3 toutes plaques confondues et de 2.6 pour les plaques sténosantes de plus de 50%.  Les auteurs n’ont pas retrouvé de biais lié à l’interprétation subjective de la plaque par rapport à une interprétation logicielle plus complexe (sous réserve du faible nombre d’études disposant de ces techniques). Les auteurs n’ont pas retrouvé de différence non plus en étudiant les études postérieures à 2000 ce qui laisse penser que le risque lié à l’instabilité de la plaque perdure malgré un traitement médical amélioré.

Les auteurs pointent quelques faiblesses de la méthode échographique : l’absence de standardisation de la définition de l’échogénicité et de mesures de la variabilité intra et inter-observateurs.

L’augmentation de risque lié au caractère hypoéchogène, même signifiante, reste cependant trop faible, eu égard au faible taux d’événements cliniques associé à une sténose asymptomatique (0.5 à 1% pour une sténose > 50%) pour être en soi même un facteur décisionnel et cette analyse doit être associé à d’autres facteurs de risque (degré de sténose, ulcération de plaque mise en évidence par produit de contraste ultrasonore, caractérisation IRM, caractéristiques patient).

Les auteurs pointent quelques faiblesses de leur analyse : faiblesse de certaines études sur les perdus de vue et imprécision en découlant sur le recueil des événements cliniques, calcul de risques relatifs de manière univariée sans prendre en compte d’autres facteurs de risque tels les caractéristiques des sujets, sexe, âge, diabète, etc., par manque de données dans les études. Ceci ne pourrait cependant être réalisé de manière satisfaisante  que dans le cadre  d’une étude prospective. Les méta-analyses sont intéressantes par leur effet d’agrégation de données mais comportent ces limites de manière innée.

Commentaire

La qualité des résultats d’une méta-analyse repose grandement sur la qualité des études retenues. Les auteurs ont effectué une sélection drastique puisque 8 études ont été analysées à partir de 5409 abstracts dans PubMed ce qui illustre la grande hétérogénéité de la littérature médicale. Malgré cela, les études restent hétérogènes notamment dans la définition de la sténose carotidienne, dans le suivi prospectif des événements neurologiques (perdus de vue) et dans la définition de l’échogénicité.

Un point important de cette étude est cependant la constatation que l’analyse visuelle subjective permet d’identifier des patients à haut risque sans la nécessité d’outils logiciels complexes ou du recours à la mesure par GSM .Cela est intéressant dans la pratique quotidienne en donnant la possibilité à chaque médecin vasculaire d’avoir  accès à cette information, encore faudrait-il définir la référence que nous prenons (cf. hétérogénéité des définitions de l’hypoéchogénicité dans les études). Pour mémoire, 3 références simples peuvent être utilisées pour l’identification des niveaux de gris : la lumière artérielle pour le noir, le muscle sternocléidomastoïdien pour l’isoéchogène et l’os, l’apophyse transverse pour l’hyperéchogène. Un préréglage pour l’analyse de plaque peut être effectué sur l’échographe : gamme dynamique 65-70 dB, absence de persistance, courbe de gain verticale, gain adapté pour que la lumière artérielle soit la plus proche du noir, profondeur d’exploration entre 3 et 3.5 cm 9.

La place de l’échographie carotidienne dans la prise de décision d’un geste chirurgical raisonné n’est donc pas encore clairement définie et le caractère d’hypoéchogénicité n’est probablement qu’un facteur de risque parmi d’autres. Sa haute prévalence (30% des sténoses > 50 % dans cette méta-analyse) combinée à la faible incidence des AVC montre que ce critère n’est pas suffisant pour proposer le patient au chirurgien.

Une étude prospective multicentrique française ACTRIS coordonnée par le Pr MAS (service de neurologie Ste Anne Paris) et soutenue par la SFMV est en cours de développement. Elle vise à comparer la chirurgie carotidienne combinée à un traitement médical optimum versus un traitement médical seul chez des patients avec sténose carotidienne asymptomatique de plus de 60% (NASCET) ayant au moins un critère d’instabilité parmi lesquels :

  1. Signaux micro emboliques détectés en Doppler transcrânien
  2. Altération de la réserve vasomotrice en Doppler transcrânien
  3. Hémorragie intra plaque en IRM
  4. Progression sévère et rapide de la sténose

Trois des quatre critères relèvent des médecins vasculaires, ces critères devant être établis par les groupes de travail de la SFMV.  On peut regretter que l’analyse de la plaque en échographie mode B n’ait pas été retenue parmi les critères d’instabilité. Malgré les réserves  évoquées plus haut sur la nécessité d’une harmonisation entre opérateurs, cela aurait permis de disposer d’une méthode plus facilement diffusable que les HITS ou l’étude de la réserve vasomotrice qui cantonnent l’évaluation à certains laboratoires d’explorations fonctionnelles.

On peut imaginer qu’à l’avenir le caractère hypoéchogène de la plaque couplé à d’autres outils tels ceux étudiés par l’étude ACTRIS puisse mettre le médecin vasculaire au cœur de l’appréciation du risque d’AVC pour un patient et de la décision thérapeutique.

 

Bibliographie

 

1. Executive committee for the Asymptomatic Carotid Atherosclerosis Study. Endarterectomy

for asymptomatic carotid artery stenosis. JAMA 1995; 273:1421-8.

 

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Collaborative Group. 10-year stroke prevention after successful carotid endarterectomy for

asymptomatic stenosis (ACST-1): a multicenter randomized trial. Lancet 2010; 376:1074-

84.

3. Sillesen H, Amarenco p, Hennerici MG, et al. Atorvastatin reduces the risk of

cardiovascular events in patients with carotid atherosclerosis: a secondary analysis of the

Stroke Prevention by Aggressive Reduction in Cholesterol Levels (SPARCL) trial. Stroke

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5.Geraloukos G, Ramaswami G, Nicolaides A, James K, Labropoulos N, Belcaro G,Halloway M.Characterisation of symptomatic and asymptomatic plaques using high resolution real time ultrasonography. Br J Surg 1993; 80: 1274-7.

6.El –Bargouthy N, Geroulakos G,Nicolaides A, Androulakis A, Bahal V.The identification of the high risk carotid plaque . Eur J Endovasc Surg 1996; 11:470-478.

7. Kakkos SK, Griffin MB, Nicolaides AN et al. Asymptomatic Carotid Stenosis and Risk of

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images of asymptomatic carotid plaques predicts the occurrence of stroke. J Vasc Surg.

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8. Baud JF, Becker F, Maurizot A, Pico F. L’échographie avec contraste peut montrer des lésions carotidiennes symptomatiques non visualisées en angio-RM. J Mal Vasc 2013; 38,6: 385-91.

9. Reproducibility in ultrasonic characterization of carotid plaques. De Bray JM, Baud JM, Delanoy P, Camuzat JP, Dehans V, Descamp-Le Chevoir J, Launay JR, Luizy F, Sentou Y, Cales P. Cerebrovasc Dis. 1998 Sep-Oct;8(5):273-7.