Actualité sur les nouveaux anticoagulants oraux (NACO)

Le syndicat des Jeunes Biologistes Médicaux (SJBM) a récemment alerté Mme Le Ministre de la Santé sur le danger potentiel des nouveaux anticoagulants oraux (NACO) (http://blog.sjbm.fr/wp-content/uploads/2013/09/Lettre-NACO-Ministère-Santé-BAT.pdf). Cette action a par ailleurs fait l’objet d’une campagne médiatique de grande envergure.

Vous allez donc probablement, et à juste titre, être interpellés par des patients anxieux. Nous voudrions ici préciser, en réponse au texte du SJBM, un certain nombre de points qui vous aideront à répondre à ces interrogations.

1. « Les NACO devaient avoir une posologie unique » : Il n’existe pas, avec ces molécules, d’adaptation individuelle des doses. Cependant, l’expérience acquise, via la surveillance individuelle des héparines non fractionnées par le TCA d’une part, et des antivitamines K par l’INR d’autre part, a très vite montré la limite de cette approche en termes d’efficacité et de tolérance hémorragique. Par contre, dans les essais thérapeutiques, et dans l’utilisation en pratique de ces nouvelles molécules, notamment dans le problème de la fibrillation auriculaire, l’adaptation de doses se fait dans une démarche à priori reposant sur les caractéristiques « patients », (âge, fonction rénale…).

2. « Ils ne devaient nécessiter aucun suivi biologique, ce qui avait de quoi enthousiasmer à la fois praticiens et patients qui retrouvaient ainsi un plus grande liberté » : le problème soulevé par l’évolution thérapeutique des anticoagulants n’était pas tant le fait de la nécessité ou non du suivi biologique de ces médicaments, mais de la nécessité d’administrer une dose fixe chez les patients, source d’une meilleure stabilité thérapeutique et observance. La surveillance biologique des AVK est en fait liée à une instabilité thérapeutique qui justifie une adaptation individuelle et permanente de la dose prescrite, avec des contrôles biologiques répétés. Les nouveaux anticoagulants, dont la fenêtre thérapeutique est plus large que les AVK, permettent une autre approche, sans surveillance biologique. D’autre part, c’est une expérience, dans le domaine des antithrombotiques, déjà largement acquise par les prescripteurs avec les héparines de bas poids moléculaire (qui ont révolutionnées les traitements par héparine, sans contrôle particulier) et par les antiagrégants plaquettaires, largement utilisés et prescrits en pathologie athérothrombotique, à doses fixes et sans surveillance biologique particulière.

3. « La nouvelle pilule miracle possède cependant bien des écueils :

« Aucun antidote possible en cas d’urgence opératoire ou d’hémorragie (donc aucun moyen de contrôler les saignements une fois apparus » : il n’existe pas de fait d’antidote spécifique de ces anticoagulants, mais ceci ne préjuge pas de l’absence de drogue hémostatique permettant de contrôlant le saignement et de répondre à l’urgence opératoire (cf infra). D’ailleurs,ceci est également vrai pour les anti-agrégants plaquettaires

« Perturbation des tests classiques d’hémostase (TP, TCA..) non corrélés  à la dose du principe actif » : Le TCA est utilisé pour la surveillance des traitements hépariniques, la détection des déficits en facteurs de la voie endogène de la coagulation et des anticoagulants circulants ; le TP (on devrait d’ailleurs parler de temps de Quick) détecte les insuffisances hépatocellulaires, les déficits de la voie exogène de la coagulation et permet la surveillance des traitements par AVK. Ces tests n’ont effectivement pas pour vocation d’être utilisés pour la surveillance des nouveaux anticoagulants.

« Stratégies thérapeutiques inexistantes en cas d’urgence » : les auteurs font preuve là d’une grande méconnaissance du domaine et de la bibliographie la plus récente. Le Groupe d’Intérêt en Hémostase péri-opératoire (GIHP), groupe de travail francophone émanant de la Société Française d’Anesthésie Réanimation, a publié en 2013 des recommandations pour la prise en charge des hémorragies graves et des chirurgies en urgence avec ces médicaments. Ces recommandations ont été publiées à l’échelon national et international et sont disponibles pour tous.

« Pas de test de coagulation spécifique disponible en urgence » : les tests spécifiques, permettant de déterminer la concentration médicamenteuse circulante, existent, et les industriels qui les développent font de gros efforts pour les implémenter de manière simple sur les plateaux techniques de biologie. Il appartient maintenant aux biologistes de s’accaparer ces techniques et de le mettre à disposition de leurs collègues assurant les urgences. Une mise au point est d’ailleurs disponible sur le site du GEHT (http://site.geht.org/site/Pratiques-Professionnelles_472_.html)

« Pas de recul à long terme comparativement aux AVK » : c’est le propre même de toute innovation thérapeutique que de ne pas avoir la même antériorité que le traitement auquel elle s’est comparée. Ceci n’est pas une raison pour ne pas encourager de telles évolutions, mais justifie pleinement les plans de gestion de risque demandés par le ministère et les agences de régulation.

« Prix exceptionnellement élevé (coût mensuel du traitement par NACO est de 76€, à confronter aux 12€5O du coût d’un traitement AVK, surveillance biologique incluse » : la différence de coût est une réalité ; on rappelle que les couts sont déterminés par accord entre les industriels pharmaceutiques et les agences réglementaires, et qu’ils s’appliquent indépendamment de la prescription.

« Risque de banalisation du traitement (l’absence de nécessité de suivi biologique étant interprété par les patients et certains praticiens mal informés comme synonyme d’absence de danger »: L’un des messages clés à faire passer et entendre par les prescripteurs est effectivement que ces nouveaux anticoagulants sont et restent des anticoagulants ! Quant à l’adhésion et l’observance au traitement chronique, celle-ci est du ressort de l’éducation thérapeutique des patients (ETP), dont on sait que l’efficacité s’affranchit largement de toute méthode de dosage (d’ailleurs antinomique avec le concept même d’éducation du patient). Il appartient donc aux prescripteurs de s’assurer de l’optimisation de l’ETP. La Société de Médecine Vasculaire, via son groupe de travail « Education thérapeutique », a d’ailleurs largement anticipé cette dimension-là de la prise en charge thérapeutique

« Persistance d’interactions médicamenteuses » : celles-ci sont effectivement connus pour les grandes classes médicamenteuses, et il convient de les respecter. Quant à celles qui seraient encore inconnues, là encore, elles justifient pleinement les plans de gestion de risque demandés par le ministère et les agences de régulation.

4. « Leur commercialisation a malheureusement été immédiatement suivie des premières restrictions d’usage (voire de contre-indications) et des premiers accidents » :

« Problèmes des insuffisances rénales et hépatiques » : il ne s’agit pas de restriction d’usage, mais de contre-indication d’emblée dès le départ de ces médicaments, ces populations n’ayant pas été évaluées dans les essais. Il convient effectivement de les respecter.

« Contre-indication du Pradaxa chez les porteurs de valvesmécaniques » : mais c’est une évidence, puisqu’aucun NACO n’est indiqué dans les valves ! En ce qui concerne plus spécifiquement le Pradaxa, ceci est légitime puisque l’essai thérapeutique l’ayant évalué (on ne peut pas reprocher à un essai d’avoir eu lieu !) a été négatif. Quant aux autres, ils sont tout aussi contre-indiqués puisque n’ayant jamais été évalués ! Il n’est pas gênant en soi qu’un médicament connaisse des contre-indications (l’aspirine est contre indiquée chez l’hémophile, ça n’en fait pas pour autant un médicament sans intérêt), il faut savoir les respecter

« Nombre croissant de déclarations d’accidents hémorragiques sévères » : Ceci n’a de sens que si on les compare à l’incidence de ces mêmes accidents sous AVK. Hors ceci pose effectivement la problématique de la pharmacovigilance, puisqu’il y a bien longtemps, probablement du fait du recul cité plus haut, que plus personne ne déclare les complications hémorragiques sous AVK. Par ailleurs, les essais thérapeutiques de ces NACO (rassemblant plus de 50 000 malades) ont clairement montré, les deux classes confondus, une réduction d’un facteur 2, des hémorragies intracrâniennes, hantise de tout prescripteur et de tout patient sous anticoagulant. On ne peut écarter ces résultats au seul fait que les malades des essais étaient « sélectionnés » (d’ailleurs y compris dans les groupes traités par AVK). Les registres prospectifs en cours et les plans de gestion de risque devraient affiner ces données.

La gestion de ces NACO peut donc rester sûre pour les patients sous réserve

  1. Du respect strict des indications et contre-indications, et des posologies
  2. De l’optimisation des démarches d’éducation thérapeutique et d’observance
  3. Du respect et participation aux plans de gestion de risque

Vous pouvez également, à ce titre, consulter le dernier communiqué de l’ANSM :
http://ansm.sante.fr/S-informer/Actualite/Les-nouveaux-anticoagulants-oraux-Pradaxa-Xarelto-Eliquis-Des-medicaments-sous-surveillance-renforcee-Point-d-information/(language)/fre-FR

Dr G Miserey
Président de la SFMV