Le Sirolimus dans le traitement des Anomalies vasculaires

Titre original : 
Sirolimus in the Treatment of Vascular Anomalies.
Titre en français : 
Le Sirolimus dans le traitement des Anomalies vasculaires.
Auteurs : 
Triana P, Dore M, Cerezo VN, Cervantes M, Sánchez AV, Ferrero MM, González MD, Lopez-Gutierrez JC.
Revue : 
J Pediatr Surg. 2017 Feb;27(1):86-90.

Traductions & commentaires : 
Julien JEANCOLAS, pour le groupe des Malformations Vasculaires SFMV.



Les anomalies vasculaires représentent un groupe très hétérogène. En 1996, l’ISSVA (International Society for the Study of Vascular Anomalies) a revu sa classification initialement créée par Mulliken et Glowacki en 1982, pour les distinguer en deux grands groupes : les malformations et les tumeurs vasculaires. Celle-ci a été remise à jour en 2014 grâce aux nouvelles caractéristiques génétiques découvertes. Habituellement, les malformations veineuses et lymphatiques sont traitées par sclérose avec parfois un geste de résection chirurgicale associé, les malformations capillaires par laser pulsé et les malformations artérioveineuses par embolisation associée éventuellement à une résection chirurgicale.
Pour les patients qui ne répondent pas aux thérapies conventionnelles, le Sirolimus (inhibiteur mTOR) a récemment été essayé comme option thérapeutique. mTOR* est une sérine thréonine kinase régulée par PI3K et Akt. La voie de signalisation PI3K/Akt/mTOR intervient dans la croissance et la prolifération cellulaire et augmente l’expression de VEGF (régulateur de l’angiogenèse et de la lymphangiogenèse).
Initialement, le Sirolimus a été utilisé pour prévenir le rejet de greffe rénale chez les patients transplantés, mais il a également des indications dans la prévention des resténoses de stent coronaire et dans la lymphangioléiomyomatose. L’équipe de Madrid présente dans ce travail une cohorte d’enfants avec des anomalies vasculaires complexes traitées par Sirolimus.

METHODE

C’est une analyse rétrospective de 41 patients atteints d’anomalies vasculaires, inclus entre Janvier 2011 et Décembre 2015. Ces patients étaient en échec thérapeutique conventionnel et tous étaient symptomatiques. Il n’existait pas de typage génétique associé. Un traitement initié par 0.8mg/m²/12h de Sirolimus était instauré.Les critères d’efficacité étaient : la résolution des symptômes et la réduction de la taille de la lésion (cliniquement ou par imagerie). Une réponse partielle correspondait à une diminution des symptômes et une réduction de la taille malgré la persistance de l’anomalie. Une réponse complète correspondait à une disparition de la lésion (clinique et en imagerie) et des symptômes.

RESULTATS

Caractéristiques des patients
41 patients traités par Sirolimus avec une prédominance féminine (1,4/1) et un âge moyen de 12,8 ans. Parmi ces patients, 15% (n=6) présentaient des tumeurs vasculaires et 85% (n=35) des malformations vasculaires (4 malformations veineuses, 4 malformations artérioveineuses, 13 malformations lymphatiques généralisées, 11 malformations lymphatiques localisées et 1 lymphangiomatose kaposiforme).

Traitement
La dose initiale était de 0.8 mg/m²/12h (sauf pour un patient 0.5 mg/m²/12h). L’ajustement était guidé par les symptômes cliniques et les effets indésirables. Le dosage de Sirolimus accepté était entre 5 et 15 ng/ml. La durée du traitement était hétérogène avec une médiane de 8,5 mois. Treize patients sont encore sous traitement.

Efficacité
Le taux de réponse était de 80,4%, avec une réduction des symptômes et du volume en imagerie, et une médiane de temps de 10 semaines. Il n’y avait aucune réponse complète. Le Sirolimus a été arrêté chez 14 patients : 2 patients ont réduit puis arrêté le traitement devant une réponse positive (mais ont dû reprendre le traitement), 8 n’ont pas répondu au traitement : 4 malformations artérioveineuses, 1 syndrome de Gorham Stout (malformation lymphatique généralisée avec ostéolyse et possible atteinte à type de chylothorax, décompensation respiratoire..), 1 malformation lymphatique, 1 lymphangiomatose kaposiforme, 1 malformation vasculaire non étiquetée). Quatre patients ont été perdus de vus.

Sécurité
Le Sirolimus a été bien toléré même en néonatologie. Un patient avec une hyperlipidémie a présenté une élévation des enzymes hépatiques qui a nécessité d’associer un traitement par statines. Un patient a présenté une lymphopénie avec une infection opportuniste qui n’a pas nécessité d’arrêter le traitement. Un patient atteint de lymphangiomatose kaposiforme est décédé pendant le traitement par insuffisance respiratoire dans un contexte de chylothorax bilatéral.


DISCUSION ET CONCLUSION DES AUTEURS

Discussion
Quelques cas rapportés ainsi que de petites séries rétrospectives ont été publiées sur le Sirolimus dans le traitement des anomalies vasculaires. Elles ont montrées de bons résultats et peu d’effets indésirables. Mais il n’y pas de standardisation des critères de réussite ni de la toxicité dans ces études. Il n’y a malheureusement pas non plus de méta-analyse et il existe beaucoup de biais dans les publications (groupes très hétérogènes, pas de standardisation des doses, pas de caractérisation génétique systématique). Le design de cette étude est basé sur l’expérience de l’efficacité et des effets indésirables du Sirolimus dans la transplantation rénale. Dans les anomalies vasculaires, la dose initiale était de 1,6mg/m²/24h. Dans les transplantations rénales, la dose initiale est de 3mg/ m²/24h puis une dose de maintien de 1mg/m²/24h. A noter que dans la transplantation rénale, le Sirolimus est associé à la cyclosporine, qui augmente l’absorption du Sirolimus. Concernant le dosage du Sirolimus sanguin, dans la transplantation rénale il doit être initialement compris entre 12 et 20ng/ml puis maintenu entre 4 et 12ng/ml. Pour les anomalies vasculaires un taux entre 5 et 15ng/ml semble être généralement suffisant. A propos de l’immunosuppression, il ne semble pas nécessaire d’atteindre ce niveau pour être efficace dans les anomalies vasculaires. Il est également important de noter que pour les nouveau-nés et les jeunes enfants, il faut des doses plus basses pour atteindre l’objectif thérapeutique. Il n’y a actuellement pas de recommandations concernant la durée et les modalités de diminution du traitement. Un cas d’hémangiome associé à un PHACES** semble avoir montré de bon résultat. Les malformations lymphatiques étendues, généralisées ou complexes type Gorham Stout semblent bien répondre également au Sirolimus. Concernant les malformations veineuses, les résultats sont hétérogènes. Pour les malformations artério-veineuses, les résultats sont mauvais (ce qui est retrouvé dans cette étude mais qui correspond assez bien aux résultats attendus du fait du rationnel génétique de ces lésions).

Conclusion
Le Sirolimus pourrait être une alternative thérapeutique intéressante pour les patients qui présentent une anomalie vasculaire réfractaire au traitement conventionnel. La question actuelle est de savoir quelle est la dose optimale et combien de temps poursuivre le traitement. Bien que certains succès aient été publiés, il semblerait que les malformations artério-veineuses répondent mal à ce traitement. Les autres malformations vasculaires ont présenté des résultats prometteurs. Il faudrait néanmoins cibler plus précisément les anomalies vasculaires qui ont le plus de chance de réussite. Un registre international est nécessaire pour clarifier cette nouvelle thérapie.

REMARQUES ET COMMENTAIRES

Le critère de jugement principal est l’amélioration des symptômes et la diminution de taille de l’anomalie vasculaire. On aurait souhaité que des scores standardisés type échelle de qualité de vie, score de fonctionnalité d’un membre, échelle de la douleur, soit réalisés pour pouvoir juger de manière plus objective. De même, on aurait également apprécié que la diminution de taille de l’anomalie puisse être jugée en aveugle sur imagerie par un centre indépendant. A noter que le caractère ouvert de l’étude induit un biais important. Les critères symptomatiques notamment chez les patients atteints d’un syndrome de Gorham Stout auraient pu également être détaillés du fait de variabilité des atteintes systémiques (les résultats favorables portent-ils uniquement sur les lymphangiomes kystiques ou également sur les ostéolyses associées ?) Une recherche génétique aurait pu être très intéressante (même réalisée de manière rétrospective) pour permettre d’identifier de manière plus ciblée les types d’anomalies vasculaires qui vont le mieux répondre. Malgré l’intérêt limité d’avoir choisi de mélanger les tumeurs vasculaires qui n’empruntent pas la même voie de signalisation, ainsi que les malformations artérioveineuses, cette étude a tout de même le mérite de confirmer la mauvaise réponse au traitement de celles-ci. Ce travail permet également de présenter un nombre de cas intéressant, de préciser les doses thérapeutiques employées, la fourchette thérapeutique admise ainsi que la médiane de temps avant d’obtenir une réponse. Un travail important reste néanmoins à faire pour déterminer des durées de traitement optimales et pour mieux identifier les malformations qui répondent. On espère que l’étude VASE qui vient de débuter (protocole européen de traitement des anomalies vasculaires par Sirolimus) pourra apporter quelques éléments de réponse.

 

Ndlr
*mTOR (mammalian target of rapamycin : cible de la rapamycine chez les mammifères).
**PHACE est l’acronyme anglais décrivant un syndrome qui associe malformations de la fosse postérieure, hémangiomes capillaires, anomalies de l’anatomie des artères cérébrales, coarctation de l’aorte et autres malformations cardiaques et anomalies oculaires. Dans certains cas, des anomalies sternales sont présentes, et on parle alors de syndrome PHACES. Deux autres manifestations ont été récemment ajoutées au spectre clinique du syndrome : la sténose des vaisseaux de la base du crâne et les dilatations longitudinales segmentaires (dolicho segments) de la carotide interne (source : www. orpha.net).