Les résultats de l’étude Astis : traitement de la sclérodermie systémique cutanée diffuse par transplantation autologue de cellules souches hématopoïétiques versus cures intra-veineuses de cyclophosphamide.

Titre original : 
Autologous Hematopoietic Stem Cell Transplantation vs Intravenous Pulse Cyclophosphamide in Diffuse Cutaneous Systemic Sclerosis. A Randomized Clinical Trial.
Titre en français : 
Les résultats de l’étude Astis : traitement de la sclérodermie systémique cutanée diffuse par transplantation autologue de cellules souches hématopoïétiques versus cures intra-veineuses de cyclophosphamide.
Auteurs : 
Van Laar JM, Farge D, Sont JK et al, for the EBMT/EULAR Scleroderma Study Group.
Revue : 
Journal of the American Medical Association. 2014 Jun 25;311(24):2490-8.

Traductions & commentaires : 
Sophie Blaise



Le traitement par fortes doses d’immunosuppresseur et la transplantation autologue de cellules souches hématopoïétiques (HSCT) ont montré leur efficacité dans la sclérodermie systémique lors d’une étude de phases 1 et 2. L’étude Astis avait pour objectif de comparer l’efficacité et la tolérance de l’HSCT versus 12 cures successives mensuelles intra veineuses de cyclophosphamide. Il s’agissait d’une étude de phase 3 ouverte, randomisée, multicentrique, et en groupes parallèles réalisée dans 10 pays et 29 centres.

METHODOLOGIE

Les critères d’inclusion étaient des patients avec une sclérodermie systémique (ScS) selon les critères de l’Association Américaine de Rhumatologie avec une durée maximale d’évolution de 4 ans et un score de Rodnan modifié minimal de 15 (score de 0 à 51)(Annexe). Les patients devaient avoir une atteinte viscérale cardiaque, pulmonaire ou rénale. La présence d’une HTAp sévère (pression moyenne de l’artère pulmonaire > 50 mmHg), d’une atteinte viscérale majeure ou de sévères comorbidités étaient des critères d’exclusion. Un amendement en 2004 autorisait en plus les inclusions des patients avec une durée de la maladie de 2 ans mais avec un score de Rodnan modifié d’au minimum 20 et des critères biologiques inflammatoires imputables à la ScS.

Le protocole de traitement de l’HSCT était réalisé avec l’intention de réaliser une ablation lymphocytaire intensive. Les cellules souches hématopoïétiques du sang périphérique étaient mobilisées avec un traitement intra-veineux par cyclophosphamide (4 g/m2 sur 2 jours consécutifs) et de filgrastim (facteur de croissance des granulocytes) (10 μg/kg/jour), récoltées par leucaphérèse et enrichiees en CD34+. Le schéma de conditionnement consistait en un traitement par cyclophosphamide intra-veineux (200 mg/kg IV sur 4 jours consécutifs) et de globulines de lapin anti-thymocyte intraveineuses (rbATG,Genzyme) (7.5 mg/kg sur 3 jours consécutifs) associé à de la méthylprednisolone (1mg/kg IV), une hyperhydratation suivie d’une réinjection de cellules souches autologues du sang périphérique CD34+ (≥2 × 106/kg). Le suivi des recommandations du groupe européen de transplantation de moelle osseuse était respecté. Les patients dans le groupe contrôle recevaient du cyclophosphamide en cure mensuelle pendant 12 mois (750mg/m2 IV). Un traitement en cross-over était autorisé durant la seconde année. Les traitements concomitants étaient autorisés si nécessaires. Après 2008, conseils étaient donnés de faire un suivi de l’Ebstein-Barr Virus (EBV) par polymerase chain reaction dans le groupe HSCT. Les investigateurs étaient également conseillés d’initier un traitement par inhibiteur de l’angiotensine de conversion chez tous les patients inclus.

 

OBJECTIFS

L’objectif principal était la survie sans évènement majeur définie par la durée entre la randomisation et le décès ou la persistance d’une atteinte viscérale majeure (fraction d’éjection cardiaque gauche inférieure à 30%, pression artérielle en oxygène de repos inférieure à 60 mm Hg et/ou pression artérielle en dioxyde de carbone au repos supérieure à 50mmHg, sans oxygène, ou la nécessité de dialyse). Chaque évènement était analysé par un comité afin de déterminer l’imputabilité au traitement ou à l’évolution de la maladie.

Les objectifs secondaires étaient la mortalité liée aux traitements, la toxicité, les modifications du score de Rodnan modifié, les fonctions d’organes (cœur, poumon, rein), le poids des patients ainsi que des scores de qualité de vie. La nécessité d’un traitement immunosuppresseur entre le 12ème et le 24ème mois était également un objectif additionnel. Un suivi était réalisé jusqu’à 4 ans après le dernier patient inclus.

 

RESULTATS

De mars 2001 à octobre 2009, 156 patients présentant une sclérodermie cutanée systémique précoce et diffuse étaient recrutés et suivis jusqu’au 31 octobre 2013. Parmi eux, 79 patients étaient traités par HSCT et 77 par un traitement par cyclophosphamide. La médiane de suivi était de 5,8 ans (interquartile 4.1-7.8). Durant la période de suivi, 53 évènements étaient apparus : 22 dans le groupe HSCT (19 décès et 3 atteintes viscérales irréversibles) et 31 dans le groupe contrôle (23 décès et 8 atteintes viscérales irréversibles). Durant la première année, il y avait plus d’évènements dans le groupe HSCT (16,5%) incluant 8 décès liés au traitement, alors que dans le groupe contrôle, 10,4% d’évènements étaient rapportés, sans aucun décès lié au traitement. A deux ans, 14 évènements étaient rapportés dans les deux groupes soit 17,7% dans le groupe HSCT et 18,2% dans le groupe cyclophosphamide. A 4 ans, les chiffres passaient à 19% d’évènements cumulés versus 26% dans le groupe contrôle. Le hazard ratio était variable dans le temps (P = 0.04 pour la courbe sans évènement majeur et P = 0.03 pour la courbe de survie globale). Le temps était considéré en effet comme une variable quantitative. Pour l’objectif principal, ce hazard ratio pour la survie sans évènement majeur était de 0,52 à 1 an de suivi (95%CI, 0.28-0.96; P=0.04), 0,35 à 2 ans (95% CI, 0.16-0.74; P=0.006) et 0,34 à 4 ans (95%CI, 0.16-0.74; P=0.006.). Les patients dans le groupe HCST avaient une plus grande mortalité au cours de la première année mais un meilleur taux de survie global à long terme. Durant la première année, 11 décès étaient rapportés dans le groupe HSCT (toutes étiologies confondues) versus 7 dans le groupe contrôle, ce nombre passait respectivement à 12 et 13 à 2 ans, et à 13 et 20 à 4 ans. La majorité des évènements étaient observés dans les 6 premiers mois dans le groupe HSCT. Aucun effet centre n’était observé.

En ce qui concerne les objectifs secondaires, plusieurs différences significatives étaient observées. Le score de Rodnan modifié était à 2 ans significativement amélioré dans le groupe HSCT (-19.9 versus −8.8 dans le groupe contrôle, P < .001). La variation des capacités vitales pulmonaires étaient également significativement en faveur du groupe HSCT (P = 0.004), tout comme la capacité pulmonaire totale (P=0 .02), ainsi que les scores de qualité de vie. La moyenne de la clearance de la créatinine était par contre aggravée dans le groupe HSCT (−12.1 versus −1.2 dans le groupe contrôle, P=0.02). Il n’existait pas de différence significative concernant les autres objectifs secondaires.

Lors de l’analyse post hoc en sous-groupes, il n’y avait pas de différences significatives dans les odds ratio de l’effet du traitement sur l’objectif principal parmi les catégories d’âge, de sexe, de durée de la maladie, de prétraitement par cyclophosphamide ou de variation de poids à 2 ans de suivi (P ≥ 0.26). On retrouvait néanmoins une différence significative de réponse au traitement parmi la population fumeuse ou non  (P=0.02). Un petit nombre de patients dans le groupe HSCT avaient reçu un traitement immunosuppresseur entre 12 et 24 mois (15 [22.4%] vs 28 [43.8%], P = 0.02). Les causes de décès liés aux traitements étaient des infections à EBV, des lymphomes, des décompensations cardiaques, et des syndromes de détresse respiratoire. Des effets secondaires de grade 3 ou 4 survenaient chez 51 patients au total (62.9% dans le groupe HSCT et 37.0% dans le groupe contrôle (P = 0.002)).

 

DISCUSSION 

Cette étude de phase 3 montre que le traitement par HSCT apporte une meilleure survie à long terme sans évènement majeur et une meilleure survie globale avec une médiane de 5.8 ans (interquartile, 4.1-7.8) par rapport au traitement par cyclophosphamide. Le bénéfice était d’autant plus important que les patients n’avaient jamais fumé. Il était montré que le tabac était associé à des formes de sclérodermies systémiques plus sévères et qu’il influençait l’évolution après HSCT en termes de tumeurs malignes, notamment du fait de l’état fonctionnel respiratoire pré transplantation. L’HSCT était également plus efficace sur plusieurs objectifs secondaires tels que le score cutané, les tests fonctionnels ou les scores de qualité de vie. Le traitement par HSCT était associé à une plus grande toxicité avec des effets secondaires de grade 3 et 4 plus nombreux, possiblement liés à rbATG, une mortalité liée au traitement de 10.1% et une modeste diminution de la clearance de la créatinine. Ce dernier point pourrait être lié aux effets néphrotoxiques des médications associées (glucocorticoïdes, cyclophosphamide et rbATG). La mortalité liée au traitement était de 17% lors de la première phase 1-2-multicentrique et de 6 et 8.7% lors de 2 analyses de registres de traitement par HSCT de maladies auto-immunes. Ce résultat pouvait suggérer un possible effet de centre. Néanmoins, aucun effet centre n’était retrouvé dans l’étude ASTIS. Ces taux élevés de mortalité liée au traitement peuvent être expliqués autrement (biais d’inclusion de patients avec plus de morbidité lors d’étude de phase 1/2 …)

Sept décès liés au traitement sur 8 décès étaient retrouvés chez des fumeurs ou anciens fumeurs. Une récente étude rétrospective a montré que le cathétérisme du cœur droit et l’IRM cardiaque pouvaient identifier des patients à risque de mortalité lié au traitement. Une autre étude récente démontre que le cathétérisme gauche en sus du cathétérisme droit était utile pour déceler des dysfonctions cardiaques gauches chez des patients avec suspicion d’HTAp. Trois des 8 décès liés au traitement étaient liés à une défaillance cardiaque.

 

Pour contrebalancer le risque de la HSCT, le choix avait été délibéré dans l’étude de cibler des patients avec ScS sévère incluant 10 patients avec HTAp dont 5 sont morts. Le problème principal reste celui d’identifier les patients les plus à risque d’avoir une maladie évolutive afin de mieux évaluer la balance bénéfice/risque d’un traitement lourd tel que l’ HSCT. Des caractéristiques cliniques récemment décrites associées à une mortalité prématurée pourraient être utilisées pour identifier des candidats éventuels.

Cette étude a plusieurs limites, notamment le fait qu’elle n’ait pas pu être faite en aveugle ce qui biaise sans doute l’évaluation des résultats, les intervalles de confiance élevés en ce qui concerne les résultats des objectifs secondaires qui sont à nuancer et enfin le nombre important d’arrêts dans le groupe contrôle (20%) du fait des décès, de défaillances viscérales, d’effets secondaires ou de la non adhésion au traitement. Le traitement optimal de la ScS n’est dans tous les cas toujours pas connu. Le schéma de transplantation utilisé ici est celui utilisé dans les anémies aplasiques sévères  entrainant une lymphodéplétion (déplétion profonde lymphocytaire), mais non myéloablative (les cellules endogènes hématopoïétiques sont alors susceptibles de se reconstituer après une période prolongée de pancytopénie). Certains autres schémas de traitement peuvent associer à l’HSCT une irradiation complémentaire au prix d’une morbidité plus importante. Le meilleur schéma thérapeutique avec un maximum de bénéfices pour une toxicité minimale reste donc à déterminer.

 

CONCLUSION

La conclusion de l’étude ASTIS était que pour les patients avec une sclérodermie diffuse précoce, le traitement par HSCT était associé à une mortalité liée au traitement de près de 10.1% et supérieure durant la première année au groupe contrôle. Ce traitement apporte néanmoins un bénéfice significatif à plus long terme en ce qui concerne la survie sans évènement majeur et la survie globale. Des études sont en cours avec le Mycophenolate Mofetil pour évaluer le maintien des résultats post HSCT. L’HSCT ne devrait être proposée que pour des patients avec ScS diffuses et 4 à 5 années d’évolution maximum avec une atteinte viscérale moyenne à modérée. Les atteintes sévères rendent les patients inéligibles à ce traitement. Une ouverture pourrait être faite aux patients ScS cutanée limitée avec atteintes viscérales évolutives, sous réserve d’autres considérations comme l’absence de tabac ou une non-réponse à un traitement conventionnel immunosuppresseur. Ces résultats doivent néanmoins être confirmés par des études complémentaires (l’étude SCOT est actuellement en cours avec des résultats disponibles au mieux en 2017).