Myalgies des statines : un effet nocebo ?

Titre original : 
Statin treatment and muscle symptoms: series of randomised, placebo controlled n-of-1 trials
Titre en français : 
Myalgies des statines : un effet nocebo ?
Auteurs : 
Herrett E, Williamson E, Brack K et al ; StatinWISE Trial Group. .
Revue : 
BMJ. 2021 Feb 24;372:n135.

Traductions & commentaires : 
Dominique STEPHAN*, François SEVERAC**



Les statines, hypocholestérolémiants largement utilisés en prévention cardiovasculaire primaire et secondaire, sont susceptibles d’entrainer des myalgies. Cette myotoxicité peu fréquente (1% des patients) se traduit le plus souvent par une fatigue musculaire, des myalgies ou des crampes, associées ou non à une élévation des CPK. Elle est régressive à l’arrêt du traitement. Dans de très rares cas (1/100 000 sujets exposés), les statines peuvent provoquer une rhabdomyolyse avec augmentation très importante des CPK (X 30 à 40N) et insuffisance rénale aiguë. Les doses élevées de statine, l’âge, la polymédication ou l’insuffisance rénale sont des facteurs de risque de myalgies. Il existe des interactions médicamenteuses avec le vérapamil, le diltiazem, la cordarone et l’amlodipine qui peuvent majorer les taux plasmatiques des statines. Il y a une quinzaine d’années, la cérivastatine était retirée du marché pour un excès d'accidents musculaires graves survenues notamment quand cette statine était associée à un fibrate, le gemfibrozil qui en multipliait les taux plasmatiques par 3 à 4.

Avec la pratique, il est apparu qu’il convenait de séparer d'une part la myotoxicité des statines et d’autre part toute une gamme de plaintes musculo-tendineuses et rhumatismales que les patients rattachaient à tort à la prise d’une statine. En effet, les plaintes musculo-tendineuses, osseuses ou articulaires sont très fréquentes dans la population générale et bien souvent ces douleurs n’ont pas d’origine médicamenteuse. Concomitamment, les statines et le danger même représenté par l’hypercholestérolémie ont été fustigés par quelques media et des personnalités non compétentes voulant faire le buzz médiatique [1,2]. Des informations critiques véhiculées par des média supposés « intelligents » ont contaminé une opinion publique volontiers médicament-septique. De nombreux patients qui ressentaient des douleurs musculaires ou ostéo-tendineuses les ont mises sur le compte de la prise d’une statine, se déclarant intolérant au médicament et souhaitant dans la plupart des cas l’arrêter.  Ce scepticisme face aux statines s’est rependu en Europe et aux Etats-Unis. Les données récentes d’un registre Danois de la maladie coronaire illustrent l’influence négative des publications, émissions de télévision ou témoignages sur internet qui critiquent l’usage des statines [3]. Ces données montrent ainsi que 15% des danois arrêtaient d’eux-mêmes leur statine peu de temps après la mise en route du traitement, l’arrêt étant motivé dans la plupart des cas par la survenue de douleurs musculaires. Les auteurs ont montré que l’arrêt des statines était corrélé en fait à la diffusion d’informations qui critiquaient négativement ces médicaments. Le résultat en termes de risque cardiovasculaire de cet arrêt prématuré des statines s’est traduit par un excès de 26% d’infarctus et de 18% de mortalité dans la population étudiée [3].

 

La démonstration de ce que les statines n’étaient en règle pas impliquées dans la survenue des douleurs musculo-tendineuses alléguées par les patients avait déjà été apportée de manière flagrante par l’essai clinique GAUSS-3 [4]. La finalité de cet essai était de comparer les effets hypocholestérolémiants et la tolérance d’un inhibiteur du PCS K9 l’evolocumab et de l’ézétimibe. Dans cet essai, 511 patients aux antécédents d’intolérance aux statines (histoire clinique et/ou élévation modérée des CPK) ont été inclus dans un essai clinique randomisée en cross-over et en double insu. Avant cette comparaison et dans le but d’identifier les patients authentiquement intolérants aux statines, les sujets étaient randomisés soit dans un groupe atorvastine 20 mg soit dans un groupe placebo selon deux périodes successives de 10 semaines. Après 10 semaines, selon les principes du cross-over, les patients du groupe atorvastatine prenaient le placebo et inversement. Les résultats sont éloquents: 35,8% des patients de la séquence placebo puis atorvastatine ressentaient des douleurs musculaires sous placebo mais pas sous atorvastatine et 17.1% des patients de la séquence atorvastatine puis placebo ressentaient des myalgies sous placebo mais pas sous atorvastatine. Des résultats similaires ont été montrés dans l’étude ODYSSEY réalisée chez des patients intolérants aux statines où 7% des patients ont été exclus pour des myalgies sous placebo lors du screening [5].

 Par la suite deux autres essais cliniques sont venus corroborer les résultats de ces études : l’essai clinique StatinWISE d’Herret et al. discuté ici et son essai jumeau SAMSON, dont nous allons rappeler les résultats. Ces deux essais ont adopté une méthodologie peu connue : le « n-of-1 trial » ou essai thérapeutique individuel. Le « n-of-1 trial » s’inscrit dans une logique d’individualisation des soins puisque son but est de déterminer la meilleure prise en charge pour un patient unique [6]. En ce sens, il est à l’opposé des essais cliniques traditionnels qui mesurent des effets moyens au niveau populationnel sur de grands effectifs. Ces essais individuels sont des essais croisés, souvent randomisés et en double aveugle dans lesquels le patient bénéficie de deux interventions (deux traitements ou un traitement et un placebo), chacune plusieurs fois, pour déterminer laquelle est la meilleure, ou évaluer l’intérêt de l’une d’elle contre un placebo.  Classiquement, ces essais sur patient unique ont été conçus pour faciliter la prise de décision clinique personnelle en se concentrant uniquement sur la réponse de l'individu aux traitements. Ce type d’essai peut être utile pour identifier les répondeurs à un traitement ou les patients intolérants. A l’origine, les essais sur patients uniques étaient surtout réalisés afin de générer des hypothèses à confirmer dans des études de plus grande ampleur basées sur une méthodologie classique. Cependant, lorsque les interventions et les designs de différents « n-of-1 trial » sont identiques, il est possible de combiner les résultats de ces essais dans une méta-analyse. Certaines études (cas des essais SAMSON et SatinWISE discutés ici) sont directement conçues comme une série de différents « n-of-1 trial » avec un calcul de nombre de sujets nécessaires (ou chaque sujet à son propre essai clinique randomisé) afin de prévoir une puissance suffisante pour mettre en avant un effet pertinent en population.

Le choix de l’essai thérapeutique individuel pour explorer la question des myalgies sous statines dans SAMSON et StatinWISE est judicieux. En effet : 1) la plupart des essais cliniques d’efficacité avec les statines vont exclure a priori les patients « intolérants » aux statines et il sera difficile de répondre à la question : « véracité de l’intolérance à ces produits » ; 2) il serait difficile de concevoir éthiquement et pratiquement un essai à grande échelle incluant des patients « intolérants » au statines dont l’objectif après ré administration d’une statine serait de comptabiliser la survenue de myalgies plus ou moins associées à une augmentation des CPK ! La population d’étude (patients ayant arrêtés les statines) combinée à l’analyse d’une série de « n-of-1 trial » permet de savoir individuellement pour chaque patient si les symptômes qu’ils ressentent sont attribuables aux statines et permet de déterminer l’effet des statines sur la douleur musculaire perçue comme étant liée aux statines. Dans l’essai SAMSON antérieur mais similaire à l’essai StatinWISE, 60 patients qui avaient eu des événements ou des plaintes musculaires sous statine ont reçu quatre flacons contenant de l'atorvastatine (20 mg), quatre flacons contenant un placebo et quatre flacons vides [7]. Chaque flacon devait être utilisé pendant une période d'un mois (1cp/j) selon une séquence aléatoire (Atorvastatine ou placebo ou flacon vide) et une durée totale d’un an (soient 12 périodes de traitement). Dans cette étude, la fréquence des plaintes musculaires sous placebo et sous statine était semblable et dépassait celle mesurée dans le groupe absence de traitement ce qui a fait conclure aux auteurs que chez ces malades, c’était le fait de prendre un comprimé qui donnait des plaintes musculaires mais pas spécifiquement la statine, ce qu’ils ont qualifié d’effet nocebo.

L’essai StatinWISE discuté ici, a également utilisé la méthodologie de l’essai thérapeutique individuel. Un collectif de 200 patients qui avait récemment arrêté une statine en raison de myalgies a participé à cette étude. Les patients prenaient chaque jour, en double insu, soit une statine (atorvastine 20 mg), soit un placebo. Les patients ont été randomisés selon 8 séquences possibles, par période 2 mois, soient 6 périodes sur une durée totale d’un an (tableau 1 et figure 1). Dans ce protocole, les patients devaient compléter durant les 7 derniers jours de chaque période de traitement un questionnaire évaluant leur ressenti musculaire (douleurs, crampes, faiblesse, raideur) sur une échelle visuelle analogique de 0 à 10 (0 correspondant à l’absence de symptômes, 5 à des symptômes modérés et 10 à des symptômes insupportables). Trois mois après la fin de l’étude, les patients étaient interrogés sur leur accord à reprendre ou pas une statine. Sur les 200 patients inclus, 151 ont été retenus pour l’analyse du critère de jugement principal car ils avaient fourni au moins un résultat d’échelle de mesure des symptômes musculaires sous atorvastatine et sous placebo. Sur les 200 patients initialement inclus, 86 n’ont pas terminé l’essai (2 décès, 4 perdus de vue, 80 ont arrêté l’essai). Sur les 80 patients qui ont arrêtés l’essai, 43 % des arrêts sont survenus sous statine, 49% sous placebo et 9% avant la première administration de l’un ou l’autre de ces deux traitements. Les sorties d’essai étaient motivés par la survenue de douleurs musculaires « intolérables » chez 9% des patients sous statine et 7% des patients sous placebo. A l’issue de l’essai et après compilation des données, le score des symptômes musculaires était plus bas sous atorvastatine (1,68±2,57) que sous placebo (1,85±2,74) mais pas différent statistiquement. Il n’y avait pas de différence entre statine et placebo sur des critères d’évaluation généraux (humeur, activité générale, marche, sommeil, etc.). Sur les 114 participants qui ont terminé l’essai (soient 6 périodes de deux mois), 88% ont indiqué que l’essai clinique les avait aidés à mieux comprendre la nature de leurs douleurs musculaires et 66% étaient d’accord pour reprendre une statine.

 

 

Discussion

Les résultats de l’essai StatinWISE sont en accord avec ceux des études GAUSS-3, ODYSSEY et SAMSON et suggèrent qu’une fraction des patients qui se plaignent de myalgies sous statine ressentent les mêmes symptômes sous placebo. L’effet nocebo en est une explication. C’est le fait de prendre un comprimé ou une pilule qui crée le symptôme et non la nature du comprimé ou de la pilule. Pour les statines, cet effet est accentué par les campagnes de dénigrement dont elles font l’objet et dont les patients ont la connaissance.

Une des limites de ce travail est probablement le grand nombre (86/200) de patients ayant arrêté l’essai. Ce fort taux de retrait de l’essai peut être expliqué : 1) par la nature de l’essai qui contraint le patient à un schéma thérapeutique pas simple, pendant un an, avec 6 périodes de traitement de deux mois, en double insu et consignation quotidienne des symptômes ; 2) par la réticence des patients à poursuivre l’essai alors qu’ils ressentent ou pensent ressentir des symptômes musculaires dus au médicament.

Sur le plan méthodologique, ces essais présentent des contraintes relatives aux essais croisés. Il ne doit pas exister d’interférence entre la séquence d’administration des traitements et leurs effets. L’effet du traitement doit donc être le même selon la période d’administration. Les périodes de traitement doivent être suffisamment longues pour permettre au traitement précédent d'être éliminé et au traitement en cours d'avoir un effet. Dans le chapitre « analyses statistiques », les auteurs indiquent avoir évalué l’effet période lors d’analyses de sensibilité. Dans la discussion, ils indiquent la possibilité que la période n’ait pas été suffisamment longue et que le critère de jugement principal ait été affecté par le traitement de la période précédente.

 

Que retenir en pratique

Les statines sont susceptibles d’entraîner des douleurs musculaires diffuses plutôt à type de courbatures qui restent cependant peu fréquentes. S’il s’agit de douleurs intervenant peu de temps après l’introduction d’une statine, le dosage des CPK est recommandé. Lorsque les CPK sont > 10N, associées à des douleurs très évocatrices il faut arrêter le traitement. S’il y a symptômes musculaires mais pas d'élévation des CPK, une analyse de la situation est légitime : faut-il obligatoirement rattacher les symptômes musculaires à la statine ? Probablement pas, comme le suggèrent les résultats des études précitées. En l’occurrence, un avis rhumatologique ou d'autres spécialistes du muscle, des tendons et des articulations peut s’avérer nécessaire pour préciser la nature exacte du trouble et sa cause. Il y a des différences entre les statines en ce qui concerne la tolérance musculaire car le métabolisme des statines est variable d'une personne à une autre. Chez certains patients qui ne tolèrent pas l'atorvastatine, la rosuvastatine n’entrainera aucun symptôme musculaire et inversement. En cas de symptômes musculaires, la substitution par une autre statine est donc une option. Enfin, les effets musculaires des statines sont dose-dépendants et surviennent plus souvent pour des fortes doses. Il faut donc savoir réduire la dose en cas d’émergence de symptômes musculaires rattachables à la prise d’une statine. Le cas échéant, l’association avec l’ézétimibe 10mg/j permet de réduire de moitié la dose de statine pour un même effet hypocholestérolémiant en limitant de facto la fréquence de survenue des symptômes musculaires. 

 

 

* Service hypertension et maladies vasculaires, CHRU Strasbourg

** Service de biostatistique, CHRU Strasbourg.

 

Références

1.   

https://boutique.arte.tv/detail/cholesterol_grand_bluff. Consulté le 06/05/2021.

2.   

Even P. La vérité sur le cholestérol. Edition du cherche Midi. Paru le 21 février 2013.

3.   

Nielsen SF and Nordestgaard BG. Negative statin-related new stories decrease statin persistence and increase myocardial infarction and cardiovascular mortality : a nation wide propsective cohort study. Eur Heart J 2016 ;37 :908-916.

4.   

Nissen S et al. Efficacy and Tolerability of Evolocumab vs Ezetimibe in Patients With Muscle-Related Statin Intolerance: The GAUSS-3 Randomized Clinical TriaJAMA 2016 ; 315 :1580-90.

5.   

Moriarty PM, Thompson PD, et al. Efficacy and safety of alirocumab vs ezetimibe in statin-intolerant patients, with a statin rechallenge arm: The ODYSSEY ALTERNATIVE randomized trial. J Clin Lipidol (2015) 9, 758–769.

6.   

Diezi L and Buclin T. N-of-1 trials ou essais thérapeutiques individuels : un test probant pour diagnostiquer l’efficacité thérapeutique. Rev Med Suisse 2019 ;15 :2058-61. 

7.   

Wood FA et al. N-of-1 Trial of a Statin, Placebo, or No Treatment to Assess Side Effects N Engl J Med 383;22.