Risque d’infarctus cérébral des sténoses asymptomatiques de la carotide et degré de sténose : Etude de cohorte en population, revue systématique et méta-analyse.

Titre original : 
Risk of stroke in relation to degree of asymptomatic carotid stenosis: a population-based cohort study, systematic review, and meta-analysis.
Titre en français : 
Risque d’infarctus cérébral des sténoses asymptomatiques de la carotide et degré de sténose : Etude de cohorte en population, revue systématique et méta-analyse.
Auteurs : 
Howard DPJ, Gaziano L, Rothwell PM; Oxford Vascular Study.
Revue : 
Lancet Neurol. 2021 Mar;20(3):193-202.

Traductions & commentaires : 
Jean-Noël POGGI



INTRODUCTION

Deux essais randomisés contrôlés de grande envergure ont montré le bénéfice de la chirurgie de la carotide en prévention des récidives chez les patients porteurs d’une sténose de la carotide récemment symptomatique, et que ce bénéfice était très dépendant du degré de sténose. D’autres essais similaires chez des patients porteurs d’une sténose asymptomatique de la carotide > 50 % ont mis en évidence un bénéfice plus modeste de la chirurgie comparée au traitement médical seul pour la prévention des évènements neurologiques. Cependant, des études de cohorte récentes signalent un risque plus faible d’évènements neurologiques sous traitement médical contemporain seul, qui pourrait remettre en question l’utilité de la chirurgie de la carotide en première intention. Les études randomisées n’ayant, contre toute attente, pas mis en évidence l’influence du degré de sténose dans le bénéfice attendu, il est logique d’envisager la possibilité d’un biais de recrutement : les investigateurs auraient pu inclure et randomiser les patients porteurs de sténoses considérées comme à bas risque, tout en faisant opérer les sténoses considérées comme à haut risque. Cela pourrait expliquer les variations importantes des pratiques selon les pays : aux USA, la proportion des endartériectomies pour sténoses asymptomatiques est de 75 % alors qu’au Royaume Uni cette même proportion tombe à 7 %.

Le but de cette étude est de déterminer la relation entre le degré de sténose et le risque d’événement neurologique et notamment d’infarctus cérébral (IC) par la mise en place d’une cohorte prospective de sténoses asymptomatiques de la carotide sous traitement médical optimal actuel.

Une revue systématique est également réalisée avec méta-analyse portant sur les études sur les sténoses asymptomatiques sous traitement médical.

METHODE

Design de l’étude

La Cohorte Oxford Vascular (OxVasc) est une étude en population de tous les évènements vasculaires aigus survenant dans une population de 92748 personnes inscrites chez une centaine de Médecins Traitants dans l’Oxfordshire, au Royaume Uni. Tous les patients porteurs d’une sténose asymptomatique de la carotide à l’imagerie vasculaire ayant présenté un événement vasculaire cérébral aigu, entre le 1er avril 2002 et le 1er avril 2017, sont consécutivement inclus dans l’étude. Les patients présentant un score NIHSS > 5 sont exclus de l’étude pour faciliter le suivi en face à face et l’observance au traitement médical optimal.

Procédures

Tous les patients ont reçu un traitement médical optimal comprenant un antiplaquettaire et une statine (atorvastatine 40 à 80 mg). Un traitement anti-hypertenseur a été instauré en cas de PA > 130/80 mmHg à l’inclusion ou pendant le suivi. Des conseils sur le mode de vie ont été donnés, et un sevrage tabagique a été proposé. La sténose asymptomatique de la carotide est définie en réduction de diamètre, en l’absence d’antécédent d’événement cérébro-vasculaire ipsilatéral. Les occlusions carotidiennes, les sténoses proximales de la carotide commune et les sténoses intra-crâniennes sont exclues. En cas de sténose carotidienne bilatérale, c’est la sténose la plus sévère qui est prise en compte.

Le suivi des patients s’effectue à 1, 6, 12 et 24 mois, puis à 5 ans et 10 ans jusqu’au 1er octobre 2020. Les évènements cérébro-vasculaires sont identifiés rapidement et réévalués par un neurologue qualifié. La sténose carotidienne est diagnostiquée à l’écho-Doppler pulsé avec mesure des diamètres en mode B, calcul de la réduction de diamètre selon la méthode NASCET, étude vélocimétrique avec mesure des vitesses maximales systolique et télédiastolique au niveau de la sténose et calcul des rapports vélocimétriques sur les vitesses de la carotide commune.

Stratégie de recherche

Une revue systématique a été réalisée avec méta-analyse des études portant sur la sténose asymptomatique de la carotide sous traitement médical mentionnant les évènements neuro-vasculaires, et notamment la survenue d’un IC, et le degré de sténose. Ont été incluses les études de cohorte et les bras médicaux des études randomisées publiées entre le 1er janvier 1980 et le 1er octobre 2020 et dont l’effectif était supérieur à 30.

RESULTATS

Sur les 2354 patients éligibles inscrits consécutivement à OxVasc du 1er avril 2002 au 1er avril 2017, 2178 (92%) ont eu une imagerie carotidienne. L'imagerie initiale a été réalisée par écho-Doppler pour 1591 (73%) des 2178 patients, et une angiographie par résonance magnétique pour 587 (27%) des 2178. Les patients ayant présenté un IC invalidant ou mortel (95 [54%] sur 176) ou une démence (81 [46%] sur 176) n'ont pas eu d’imagerie. Sur les 2178 patients ayant bénéficié d’une imagerie, on retrouvait 469 sténoses de 50% ou plus d'au moins une bifurcation carotidienne, dont 243 sténoses symptomatiques et 11 occlusions, et 207 sténoses asymptomatiques et 8 occlusions.

Les 207 patients avec sténose asymptomatique ≥ 50% avaient un âge moyen de 77,5 (SD 10,3) ans et 200 (97%) avaient des facteurs de risque cardiovasculaire. Quatre-vingt-douze (44%) étaient sous traitement par statine avant inclusion et 115 (56%) sous traitement antiplaquettaire ou anticoagulant (Tableau). Après inclusion, un traitement médical optimal est maintenu chez 189 survivants à 12 mois de suivi, avec 179 (95%) patients sous traitement antithrombotique, 169 (89%) sous statine et 168 (89%) sous au moins un médicament hypotenseur.

Le suivi médian était de 5,9 ans (IQR 3,4–8,7 ; 1316 patients-années), et tous les patients ont été suivis jusqu'au 1er octobre 2020. Dix patients (5%) ont subi une chirurgie pour sténose asymptomatique pendant le suivi (délai médian jusqu'à la chirurgie 2,6 ans [IQR 0,4–4,9]), et sept ont eu une chirurgie après un AIT ou un IC ipsilatéral (délai médian jusqu'à la chirurgie 7,0 ans [4,4-8 ·7]). Aucun patient n'a eu d'angioplastie carotidienne ou de stenting.

On dénombre 16 événements ischémiques (8 IC et 8 AIT) dans le territoire de la sténose avant toute chirurgie (tableau). Le risque annuel moyen de tout IC du territoire carotidien ipsilatéral était de 0,66 pour 100 années-personnes (IC à 95 % 0,29-1,30) et celui de tout événement du territoire carotidien ipsilatéral (AIT ou IC) était de 3,51 (correction vol 20 mai 2021) pour 100 années-personnes. Le risque à 5 ans d'IC homolatéral était significativement plus élevé chez les patients présentant une sténose de 70 à 99 % que chez les patients présentant une sténose de 50 à 69 % (6 sur 53 patients [14,6 % ; IC à 95 % de 3,5 à 25,7] vs aucun sur 154 ; p<0,0001), significativement plus élevé chez les patients avec une sténose de 80 à 99 % que chez ceux avec une sténose de 60 à 79 % (5 sur 34 patients [18,3 % ; 7,7 à 29,9] vs 2 sur 76  [2,3 % ; 0,0 à 6,8]; p<0,0001), et significativement plus élevé chez les patients avec une sténose de 80 à 99 % que chez ceux avec une sténose de 50 à 79 % (5 sur 34 patients [ 18,3 % ; 7,7–29,9] vs 1 sur 173 [1,0 % ; 0,0–2,9]; p<0,0001 ; figure 1). Les résultats étaient similaires lorsque les patients présentant une fibrillation auriculaire à l'inclusion étaient exclus.

Dans la revue systématique, 56 études, comprenant 13 717 patients, répondaient aux critères d'inclusion : 36 cohortes observationnelles prospectives, cinq essais contrôlés randomisés et 15 cohortes rétrospectives. La majorité des cohortes provenaient d'Amérique du Nord (n=27) et d'Europe (n=21), avec cinq d'Asie et trois d'Australie. Les années de recrutement, les périodes d'observation et le nombre d'événements homolatéraux, ainsi que la proportion de participants sous statine sont résumés en annexe. Sur les 56 études, 11 avaient une limite supérieure de sténose inférieure à 90% (p. ex. 50 à 70%).

Dans toutes les études, l'estimation groupée du risque annuel d'IC homolatéral secondaire à une sténose carotidienne asymptomatique de 50 à 99% a chuté au cours des trois décennies étudiées, passant de 2,38 % (IC à 95 % 2,18 à 2,58) dans études publiées avant 2000, à 0,88 % (0,62–1,02) après 2010 (p<0,0001 ; figure 2A). Cependant, lorsque l'analyse a été stratifiée par degré de sténose, le risque d'IC était systématiquement deux à trois fois plus élevé après une sténose de 70 à 99% qu'après une sténose de 50 à 69% au cours des trois décennies (figure 2B). Ce résultat est corroboré par les études de cohorte non sélectives qui ont rapporté un risque d'IC entièrement stratifié selon le degré de sténose (50 à 69 % et 70 à 99 %) (figures 2C, D).

Dans les 30 études de cohorte stratifiées par degré de sténose, l'utilisation des statines a augmenté avec le temps (p<0,0001), tandis que la prévalence du tabagisme actif a diminué (p<0,0001) et la durée médiane du suivi de l'étude a augmenté (p= 0,0063 ; figure 3). Cependant, l'excès de risque d'IC homolatéral après sténose sévère (> 70%) est indépendant de ces facteurs (figure 3).

Vingt-trois études, y compris les bras médicaux des trois essais contrôlés randomisés, ont rapporté un risque d'IC homolatéral entièrement stratifié selon le degré de sténose (chez 8419 patients). La méta-analyse de ces études a révélé une association linéaire du risque d'IC avec le degré de sténose (p<0,0001 ; figure 4), avec un risque plus élevé pour les sténoses de 70-99 % vs 50-69 % (386 patients sur 3778 vs 181 patients sur 3806 ; OR 2,1 [IC à 95 % 1,7–2,5] ; p<0,0001 ; 15 études de cohorte, trois essais) et de 80–99 % vs 50–79 % (77 sur 727 patients vs 167 patients sur 3272 ; OR 2,5 [1,8–3,5], p<0,0001 ; 11 études de cohorte ; annexe p 15), avec une hétérogénéité significative entre les études (phet <0,0001). Cependant, cette hétérogénéité a été expliquée par les trois essais randomisés contrôlés, qui ont donné des résultats très discordants (pdiff <0,0001) par rapport aux études de cohorte (essais : OR groupé 0,8 [IC à 95 % 0,6– 1,2] ; phet = 0,89 ; cohortes : 2,9 [2,3-3,7] ; phet = 0,54). Parmi les études de cohorte, l'inclusion de patients ayant eu des événements cérébro-vasculaires antérieurs dans d'autres territoires n'a pas modifié l'association entre risque d'IC homolatéral et degré de sténose, ainsi que d'autres analyses de sensibilité par rapport à un traitement antérieur par statine, l'année de publication de l'étude, et la qualité de l'étude n'expliquait aucune autre hétérogénéité.

Le risque annuel d'IC homolatéral chez les patients présentant une sténose de 50 à 69 % était significativement plus élevé dans les essais que dans les études de cohorte (2,33 % [IC à 95 % 1,85–2,82] dans les essais contre 1,23% [1·1 –1·37] dans les cohortes ; p<0,0001) et chez les patients présentant une sténose de 70 à 99 %, le risque annuel d'IC ipsilatéral était significativement plus faible dans les essais que dans les études de cohorte (1,93% [1·73-2· 12] dans les essais vs 2,81 % [2,54-3,08] dans les cohortes ; p<0,0001). Les essais présentaient également un ratio beaucoup plus élevé de patients présentant une sténose de 70 à 99% que de 50 à 69% (rapport combiné : 5,39 [IC à 95% 2,64 à 8,14] dans les essais contre 0,58 [0,29 –0,87] dans les cohortes, pdiff<0,0001). Ainsi, lorsque le rapport du risque d'IC observé à 70-99% contre 50-69% de sténose a été calculé par rapport à la proportion de participants à l'étude avec 70-99% de sténose, les études de cohorte et les essais formaient deux groupes distincts (analyse de cluster k-means, pdiff<0,0001). Dans les cohortes, on note une réduction de 8,17 % (IC à 95% 7,04-9,30) de la proportion de patients inclus avec une sténose sévère sur 20 ans (p = 0,0041), mais cette réduction ne représente pas un effet confondant pour l'excès de risque d'IC homolatéral retrouvé pour les sténoses sévères vs modérées. Le Funnel Plot d'Egger n'a révélé aucune preuve de biais de publication significatif.

DISCUSSION

Dans cette étude de cohorte prospective et revue systématique avec méta-analyse examinant le risque d'IC selon le degré de sténose carotidienne asymptomatique, il est montré que, bien que le risque d'IC homolatéral ait diminué au fil du temps, dans les études de cohorte ce risque dépend encore fortement du degré de sténose. Les bras médicaux des trois essais contrôlés randomisés sur la chirurgie de la carotide asymptomatique ont donné des résultats discordants par rapport aux études de cohorte, probablement en raison du recrutement sélectif des participants, comme l'indique leur ratio sensiblement plus élevé de patients présentant une sténose sévère (vs sténose modérée). Les auteurs ont également trouvé des tendances temporelles dans la prévalence actuelle du tabagisme, l'utilisation de statines, la durée médiane du suivi de l'étude et la prévalence de la sténose sévère, mais l'excès de risque d'IC, pour les sténoses sévères, persiste indépendamment de tous ces facteurs.

Le fait que le degré de sténose carotidienne asymptomatique soit hautement prédictif du risque d'IC homolatéral est cohérent avec les résultats des études portant sur les patients présentant une sténose carotidienne symptomatique. Pourtant, sur la base de données d'essais randomisés et de revues anciennes d'études portant sur le pronostic des patients atteints d'une maladie carotidienne asymptomatique sans stratification selon le degré de sténose, les recommandations continuent d'omettre le degré de sténose comme facteur de sélection pour la chirurgie, et préconisent plutôt l'utilisation de critères substitutifs partiellement validés pour la sélection des patients, comme l'analyse informatisée de la plaque, l'écho-transparence de la plaque et l'hémorragie intra-plaque à l'IRM. Cependant, ces critères substitutifs ne sont pas systématiquement utilisés dans la pratique clinique. La sélection des patients sur la base du degré de sténose serait plus simple et pourrait contribuer à normaliser la pratique internationale.

Les auteurs ont évalué la proportion de sténoses modérées inclues par rapport aux sténoses sévères comme critère substitutif sur la généralisabilité de leur cohorte, sur la base d’un rapport attendu de 2,5:1,0 tiré des études de dépistage en population. Dans OxVasc et dans de nombreuses autres cohortes, le ratio était cohérent avec celui attendu, alors que la proportion de patients présentant une sténose modérée était beaucoup plus faible dans les essais, indiquant un potentiel de biais de sélection. Les auteurs ne peuvent pas déterminer la nature exacte d'un tel biais, mais étant donné que lors des essais, le risque d’IC attendu serait prédit par la gravité de la sténose, les investigateurs des essais pourraient avoir assigné au hasard des patients présentant une sténose sévère considérées par ailleurs à faible risque et avoir recruté des patients présentant une sténose modérée considérée par ailleurs à haut risque. L’analyse des risques absolus d'IC dans les études de cohorte par rapport aux essais est cohérente avec cette hypothèse, tout comme le protocole du plus grand essai, qui suggérait le recrutement de patients présentant une sténose à 50 % s'ils avaient une plaque molle.

Les points forts de cette étude sont : la cohérence des résultats d'OxVasc avec les autres études de cohorte, ainsi que la robustesse de l’analyse sur l'association entre degré de sténose et risque d'AVC, stratifiée par des facteurs de confusion potentiels.

Cependant, certaines limites doivent être notées. Premièrement, le nombre d'AVC dans la cohorte OxVasc était faible, bien que tout ait été fait pour donner des estimations impartiales de l’association sténose-risque d'AVC sous traitement médical optimal actuel. Deuxièmement, bien que le meilleur traitement médical actuel ait été administré à tous les patients, un traitement médical très intensif (arrêt complet du tabac, régime méditerranéen et contrôle absolu de tous les facteurs de risque) n'était pas réalisable en raison de la conception de l'étude. Troisièmement, l'inclusion de patients ayant déjà eu des événements cérébro-vasculaires dans d'autres territoires à la fois dans OxVasc et dans plusieurs autres études de cohorte pourrait être considérée comme une limitation. Cependant, en l'absence de programmes de dépistage carotidien généralisés, c'est ainsi que les patients présentant une sténose carotidienne asymptomatique sont le plus souvent identifiés dans la pratique quotidienne ; les patients sont en grande partie diagnostiqués par imagerie carotidienne à la suite de symptômes neurologiques. De plus, il a été montré que l'association entre sténose et risque d'AVC était similaire dans les études de cohorte qui incluaient uniquement des patients asymptomatiques (sans antécédents d'événements vasculaires cérébraux dans d'autres territoires) et celles qui incluaient des patients avec des événements antérieurs dans d'autres territoires. Quatrièmement, la majorité des patients ayant subi un IC ou un AIT dans OxVasc avaient bénéficié d’une imagerie carotidienne, mais pas certains patients ayant présenté un IC invalidant ou mortel ou une démence. Cinquièmement, il y avait des différences dans les seuils utilisés pour rapporter les données sur le risque de sténose dans les études incluses dans la revue systématique, certaines définissant la sténose sévère comme 70-99% et d'autres comme 80-99%. Cependant, les analyses regroupées étaient globalement similaires avec l'un ou l'autre cut off. Enfin, la mesure de la sténose de la carotide est sujette aux erreurs et à la variabilité inter-observateur dans toutes les modalités d'imagerie. Dans OxVasc et dans la plupart des cohortes incluses dans la revue systématique, la sténose a été quantifiée par échographie, qui présente une variabilité inter-observateur importante. De plus, indépendamment des effets d'observateur, la force de l'association entre le degré de sténose et le risque d'AVC chez les patients symptomatiques dépend également fortement de la qualité de l'imagerie vasculaire, et des problèmes similaires pourraient exister pour l'évaluation échographique. Cependant, toute lacune dans la précision de l'imagerie ou de l'observateur devrait réduire la force de l'association entre degré de sténose et risque d'AVC.

Ces résultats ont des implications pour la compréhension des mécanismes de l'AVC et pour les recherches futures. Comme observé chez les patients présentant une maladie symptomatique, le degré de sténose asymptomatique de la carotide semble également être fortement associé au risque d'accident vasculaire cérébral ipsilatéral, ce qui correspond bien à l'effet synergique présumé de réduction du débit et d'embolisation dans la pathogenèse de l'accident vasculaire cérébral par rapport aux plaques carotidiennes. Compte tenu de la forte association observée entre degré de sténose et risque d'AVC, les recherches portant sur d'autres marqueurs de substitution associés au risque d'AVC chez les patients asymptomatiques doivent être entièrement ajustées en fonction du degré de sténose carotidienne. De plus, ces résultats sont un rappel important que, bien que les essais contrôlés randomisés soient le gold-standard pour quantifier les effets d'une intervention, ils pourraient ne pas convenir pour déterminer les associations de risque au sein des groupes de traitement et ne devraient donc pas être utilisés pour des analyses épidémiologiques.

Ces résultats ont des implications pour la pratique clinique. Pour les sténoses asymptomatiques, contrairement aux recommandations actuelles basées sur le résultat des études randomisées, le risque d'AVC dans les études de cohorte dépend fortement du degré de sténose : inférieur à 5 % à 5 ans sous traitement médical optimal pour des sténoses modérées, mais d’environ 15 % pour les sténoses sévères. En Europe, le taux d'intervention pour les sténoses de haut grade pourrait être trop faible, alors qu'aux États-Unis, le taux d'intervention pour les sténoses modérées pourrait être trop élevé, des données récentes du programme national d'amélioration de la qualité chirurgicale de l'American College of Surgeons ont d’ailleurs confirmé que 25 % de toutes les endartériectomies pour maladie asymptomatique ont été réalisées chez des patients présentant une sténose modérée.

Nos résultats soulignent également l'importance de la précision dans l’évaluation de la sténose dans la pratique quotidienne, au sein d’unités vasculaires certifiées. Enfin, ces résultats soutiennent la notion de surveillance de la sténose carotidienne asymptomatique modérée dans les sous-groupes appropriés, car la valeur prédictive de la sévérité initiale de la sténose a été diluée dans les études avec un suivi plus long, potentiellement en raison de la progression de la sténose modérée au fil du temps.

CONCLUSION

Ces résultats confirment les revues antérieures selon lesquelles le risque d'accident vasculaire cérébral secondaire à une sténose carotidienne asymptomatique a diminué au fil des décennies. Cependant, Les auteurs ont montré que le risque d'AVC reste élevé chez les patients présentant une sténose de haut grade sous traitement médical optimal, ce qui suggère que les avantages d'une intervention chirurgicale pourraient être sous-estimés. A l'inverse, le risque d'AVC était faible chez les patients présentant une sténose modérée sous traitement médical contemporain, remettant complètement en cause tout bénéfice de la revascularisation.

 

 

Caractéristiques cliniques et traitement médical après diagnostic et à 12 mois de suivi chez les patients avec sténose asymptomatique de la carotide dans la cohorte OxVasc, stratifiées selon le degré de sténose.

 

Risque d’événement vasculaire selon le degré de la sténose asymptomatique de la carotide ipsilatérale parmi les 207 patients de la cohorte OxVasc.

 

 

Tendances temporelles des estimations groupées des taux annuels d'AVC homolatéraux chez les patients traités médicalement présentant une sténose carotidienne asymptomatique, stratifiées par degré de sténose de l'artère carotide initiale, dans une revue systématique des études publiées après 1980.

 

Tendances temporelles de l'utilisation des statines, de la prévalence actuelle du tabagisme et de la durée du suivi, et taux d'AVC homolatéraux stratifiés par facteur de confusion.

 

Risques d'AVC homolatéral selon le degré de sténose chez les patients porteurs d’une sténose carotidienne asymptomatique sous traitement médical.

 

COMMENTAIRE

Ces résultats remettent totalement en cause le paradigme issu des essais ACAS, ACST et VA sur l’absence d’influence du degré de la sténose asymptomatique de la carotide sur le pronostic neurologique. Actuellement, la réduction importante du risque neurologique sous traitement médical optimal a remis en question l’utilité de la chirurgie carotidienne en première intention et a orienté la stratification du risque vers des critères comme la présence d’une hémorragie intra-plaque (IRM), la progressivité de la sténose, la détection de micro-emboles cérébraux, la faible échogénicité de la plaque, l’altération de la vaso-réactivité cérébrale. Cette attitude doit maintenant être revue à l’aune de cette étude, et probablement réservée aux sténoses de plus de 70 %. Ce constat, très dépendant de la précision de la mesure du degré de sténose, donne également plus de consistance à l’évaluation hémodynamique intra-crânienne en aval de la sténose, puisque la collatéralité ne se met en place qu’à partir de 70 % de sténose de la carotide. Cet élément hémodynamique doit avoir toute sa place dans l’estimation du degré de sténose, en plus des critères vélocimétriques habituels.

Un autre résultat me paraît important à signaler : la présence d’une FA représente un facteur confondant pour le risque neurologique, surtout sous traitement antiplaquettaire. L’association sténose de la carotide et FA est possible, la population cible étant identique, la découverte d’une sténose asymptomatique ne doit pas s’affranchir de la recherche d’une FA, pour proposer le traitement antithrombotique optimal. Cette réflexion vaut également pour les sténoses symptomatiques, la chirurgie de la carotide ne protégeant pas des évènements cardio-emboliques.

Enfin, il convient de toujours se méfier des essais randomisés contrôlés dans la prise en compte du taux de risque annoncé dans chaque bras, seule la différence de risque sur le critère principal de jugement est un résultat solide. Les taux de risques sont liés à la population incluse dans l’étude ; en raison d’inévitables biais de sélection, ces taux ne sont pas forcément généralisables.