Statines dans l’AOMI : impact sur le risque d’amputation et la mortalité.

Titre original : 
Association of Statin Dose With Amputation and Survival in Patients With Peripheral Artery Disease.
Titre en français : 
Statines dans l’AOMI : impact sur le risque d’amputation et la mortalité.
Auteurs : 
Arya S, Khakharia A, Binney Z et al.
Revue : 
Circulation. 2018;137:1435–1446.

Traductions & commentaires : 
Dominique STEPHAN



 

Les recommandations les plus récentes pour la prise en charge de l’AOMI stipulent qu’une statine est indiquée chez tous les patients porteurs d’une artériopathie (classe IA) [1]. Ces recommandations ajoutent que chez ces patients, il est indiqué de réduire le LDL-C à moins de 0.7 g/L ou de le réduire de 50% si le LDL-C de base est compris entre 0.7 et 1.35 g/L (Classe 1C). Comme souvent dans l’AOMI, ces recommandations sont basées sur des études réalisées chez des patients à haut risque cardiovasculaire ou coronariens dont les patients porteurs d’une artériopathie ont pu constituer un sous-groupe, peu d'études ayant spécifiquement examiné les résultats au niveau des membres inférieurs proprement dit.

A ce propos, un essai clinique marquant fut l'étude Heart Protection Study (HPS) dans laquelle les patients inclus étaient définis par un haut risque cardiovasculaire (prévention secondaire, addition de facteurs de risque) indépendamment de la valeur du LDL-C. Dans HPS, 20536 sujets ont été inclus, dont 6748 porteurs d’une AOMI, et se voyaient allouer soit 40 mg de simvastatine /jour soit un placebo. Le suivi moyen fut de 5 ans. Les résultats globaux ont montré que la simvastatine était associée à une réduction de 16% du risque relatif de survenue des événements vasculaires périphériques, réduction principalement expliquée par une diminution de 20% dans la fréquence des revascularisations artérielles (membres inférieurs et carotides). Il n’y avait cependant pas de différence dans les taux d'amputation entre les 2 groupes. Les résultats du registre REACH méritent également d’être mentionnés. Dans ce très vaste registre international comprenant plus de 60 000 patients athéro-thrombotiques, 5861 patients porteurs d’une AOMI ont été suivis [3]. Des comparaisons en termes de survenue d’évènements cardiovasculaires ont été réalisées entre utilisateurs et non-utilisateurs de statine chez les patients porteurs d’une AOMI. Dans ce registre, l’utilisation d’une statine était associée à une réduction de 14% du critère composite comprenant l’aggravation de la claudication intermittente, l’ischémie critique, les revascularisations périphériques et le taux d’amputation. Cependant, il s’agissait d’une étude observationnelle et non d’un essai clinique avec randomisation.

L’étude d’ARYA et al. a été menée chez des vétérans nord-américains de 2003 à 2014 [4]. Il s’agissait de patients porteurs d’une AOMI qui ont été catégorisés en trois groupes selon qu’ils avaient reçu une statine à dose forte, dose modérée ou faible ou pas de statine dans l'année suivant le diagnostic d’AOMI. Le groupe sans statine devait obligatoirement prendre un antiagrégant plaquettaire pour être inclus dans la cohorte. Le critère d’évaluation combinait amputation majeure et décès et l’analyse comparait les patients en fonction de la dose de statine prescrite : forte dose versus dose modérée ou faible ou pas de statine.  Les auteurs ont identifié 155 647 patients porteurs d’AOMI. Le temps de suivi moyen était de 5,9 ans. L'âge médian des patients étaient de 67,0 ans. En dépit du risque élevé, 45 503 patients (28%) n'ont pas reçu de traitement par statine au moment du diagnostic d’AOMI. Cependant la prescription de statine était plus fréquente chez les patients porteurs d’une AOMI et coronariens ou porteurs d’une sténose carotidienne. Les taux de non utilisation de statine sont demeurés constants au cours de l'étude (de 2006 à 2014). Dans cette cohorte de plus de 150 000 patients, 10 824 (7%) patients ont subi une amputation et 63 287 (41%) sont décédés. Le temps médian d’amputation était de 0,98 ans, et le temps médian à la mort était de 3,6 ans. En analyse multivariée, l’utilisation de statine à forte dose versus l’absence de statine était associée à une réduction significative du risque relatif d’amputation (HR 0.67 [0.61-0.74 95%IC]) et de décès (0.74 [0.70-0.77]). L’utilisation de doses modérées ou faibles de statine s’accompagnait également d’une réduction de la fréquence de ces deux critères mais dans une amplitude moindre. Ces résultats ont été confirmés par une analyse supplémentaire par un score de propension. Ces effets étaient consistants dans un large éventail de sous-groupes, cependant que très peu de femmes ont été incluses dans cette cohorte formée d’ex-militaires. La conclusion des auteurs est qu’une forte dose de statine réduit la fréquence des décès et des amputations chez les patients porteurs d’une AOMI, ce résultat étant retrouvé dans les sous-groupes étudiés.

Il s’agit cependant d’une étude observationnelle et quelques limites méritent d’être soulignées. Il ne s’agit pas d’un essai clinique randomisé et il existe un biais d’attribution des statines. En effet, l’analyse a révélé une inégale distribution des fumeurs, hypertendus et diabétiques dans les différents groupes de statine. Ainsi il y avait plus de fumeurs dans le groupe « absence de traitement par une statine » que dans les autres groupes qui comportaient eux plus d’hypertendus ou de coronariens. Par ailleurs, l’analyse n’a pas pris en compte les modifications du traitement des patients telles que l’introduction d’un bloqueur du système rénine angiotensine qui est recommandé dans la prise en charge de l’AOMI ou le sevrage tabagique en cours d’étude qui influe naturellement le cours de la maladie. Enfin, le protocole prévoyait que le groupe non-utilisateur de statine puisse bénéficier d’un antiagrégant plaquettaire pour être inclus dans le registre et l’utilisation d’aspirine versus clopidogrel était majoritaire dans cette étude. Rappelons que les résultats de l’essai CAPRIE sur le sous-groupe des patients porteurs d’une AOMI montrent que le clopidogrel 75 mg/j était supérieur à l'aspirine 325 mg/j en termes de prévention secondaire de mort vasculaire. Dans les recommandations récentes de l’ESC à propos de la prise en charge de l’AOMI, une antiagrégation plaquettaire doit être instituée chez les patients porteurs d’une AOMI symptomatique (Classe IA), le choix de l’antiagrégant plaquettaire peut privilégier le clopidogrel (Classe IIbB). 

Malgré ces limites, l’étude d’Arya et al. étaye les recommandations récentes préconisant l’utilisation de statine dans l’AOMI et souligne le bénéfice des es doses fortes de statine sur les critères amputation et mortalité. L’utilisation de fortes doses de statine doit cependant être mise en balance avec la fréquence plus grande de survenue d’effets indésirables type myalgies ou rhabdomyolyse chez les patients traités. 

Statine

Dose faible

Dose modérée

Dose forte

Simvastatine (Zocor)

10 mg

20 - 40 mg

 

Pravastatine (Elisor, Vasten)

10 - 20 mg

40 - 80 mg

 

Fluvastatine (Fractal, Lescol)

20 - 40 mg

80 mg

 

Atorvastatine (Tahor)

 

10 - 20 mg

40 - 80 mg

Rosuvastatine (Crestor)

 

5 - 10 mg

20 mg

 
Références
  1. 2017 ESC Guidelines on the Diagnosis and Treatment of Peripheral Arterial Diseases, in collaboration with the European Society for Vascular Surgery (ESVS). European Heart Journal (2017) 00, 1–60.
  2. Heart Protection Study Collaborative Group. Randomized trial of the effects of cholesterol-lowering with simvastatin on peripheral vascular and other major vascular outcomes in 20,536 people with peripheral arterial disease and other high-risk conditions. J Vasc Surg 2007;45:645–654.
  3. Kumbhani DJ, Steg PG, Cannon CP, Eagle KA, Smith SC Jr, Goto S, Ohman EM,

    Elbez Y, Sritara P, Baumgartner I, Banerjee S, Creager MA, Bhatt DL. Statin therapy and long-term adverse limb outcomes in patients with peripheral artery disease: insights from the REACH registry. Eur Heart J 2014;35:2864–2872.

  4. Arya S, Khakharia A, Binney Z et al. Association of statin dose with amputation and survival in patients with peripheral artery disease. Circulation. 2018;137:1435–1446.