Techniques d’ablation saphénienne précoces vs différées en cas d’ulcère de jambe : l’étude EVRA.

Titre original : 
A Randomized Trial of Early Endovenous Ablation in Venous Ulceration.
Titre en français : 
Techniques d’ablation saphénienne précoces vs différées en cas d’ulcère de jambe : l’étude EVRA.
Auteurs : 
Gohel MS, Heatley F, Liu X, Bradbury A, Bulbulia R, Cullum N, Epstein DM, Nyamekye I, Poskitt KR, Renton S, Warwick J, Davies AH; EVRA Trial Investigators
Revue : 
N Engl J Med. 2018 May 31;378(22):2105-2114.

Traductions & commentaires : 
Gilles MISEREY



L’insuffisance veineuse chronique est la cause la plus fréquente d’ulcère des membres inférieurs. La compression élastique est le traitement de référence, même si elle ne traite que la conséquence et non la cause de l’hyper-pression veineuse.

Il n’y avait à ce jour pas d’étude évaluant l’apport d’une ablation chimique ou thermique d’un reflux superficiel chez un patient porteur d’un ulcère de jambe, a fortiori si le traitement est réalisé précocément ou de manière différé. 

C’est l’objet de l’étude multicentrique randomisée EVRA présentée ici.

450 patients ont été randomisés en 2 groupes :

-               un groupe « ablation précoce », ou l’ablation chimique ou thermique du principal reflux superficiel a été réalisée moins de 15 jours après la randomisation.

-               un groupe « ablation différée », ou l’ablation a été réalisée après cicatrisation d’ulcère, ou après 6 mois si l’ulcère n’était pas encore cicatrisé. 

Pour tous les patients, une compression par superposition de bandes ou bas de compression a été effectuée. 

Le tronc veineux superficiel refluant a été traité jusqu’au point le plus bas possible, sans précision sur le type de tronc (GVS, PVS) non plus que sur le diamètre ou l’existence de perforantes incontinentes.

Le choix de la méthode d’ablation du reflux superficiel était laissé aux investigateurs, entre sclérothérapie écho-guidée à la mousse, ablation thermique, ou MOCA*, seule ou associée à l’injection de mousse, sans que soient détaillées les modalités choisies, laissées à la discrétion des équipes.

Un suivi écho-Doppler à  6 semaines a été effectué dans le groupe « ablation précoce », permettant un retraitement en cas d’occlusion incomplète.

Le critère primaire était le temps de cicatrisation de l’ulcère durant les 12 mois suivant la randomisation. 

Les critères secondaires retenus étaient :

  • ·                     taux de cicatrisation de l’ulcère à 6 mois.
  • ·                     taux de récidive.
  • ·                     la durée sans ulcération durant la première année.
  • ·                     l’évaluation de la qualité de vie (VCSS, AVVQ, EQ 5D 5L et SF36).

Enfin une analyse économique semble avoir été conjointement réalisée mais celle-ci n’est pas publiée.

POPULATION DE L’ETUDE

Sur les 6555 patients elligibles, seuls 450 ont été randomisés.

Les patients récusés l’ont été pour une ulcération évoluant depuis plus de 6 mois (1772), un IPS < 0.8 ou une AOMI patente (873), un ulcère guéri à la randomisation (610), mais le plus grand nombre de patients non inclus est lié à la préférence du praticien ou du patient avec, in fine, un refus de randomisation.

Les caractéristiques de la population sont sensiblement similaires dans les 2 groupes : l’âge moyen de la population était de 67 - 69 ans, avec un BMI voisin de 30, des antécédents de thrombose veineuse profonde dans 6 % des cas, et un diabète dans 12 à 15 % des cas.  À signaler que plus d’une fois sur deux, il s’agissait d’une récidive d’ulcère homolatérale, que l’ulcère était de petite taille (moyenne de 3 cm²) et qu’un reflux profond a été retrouvé dans 1/3 des cas.

Parmi les 224 patients randomisés dans le groupe « ablation précoce », 218 ont bénéficié effectivement d’une intervention dans les 15 premiers jours.

Dans le groupe « ablation différée » , 171 des 226 patients ont bénéficié d’un traitement du tronc veineux refluant (soit 24.3 % de patients non traités), dont 5,7 % avant cicatrisation complète.

Les méthodes d’ablation retenues sont résumées dans le tableau ci-joint. 

 

Ablation précoce (en %)

Ablation différée (en %)

ESM

49.6

44.2

Endoveineux thermique

31.7

23.9

Thermique + mousse

12.1

16

MOCA

3.5

1

Non traités

2.7

24.3

 

Pour les 36 patients du groupe ablation précoce dont le contrôle écho-Doppler à 6 semaines ne montrait pas d’occlusion complète du tronc superficiel refluant, 20 ont pu bénéficier d’un nouveau traitement.

RESULTATS

Le temps de cicatrisation complète est significativement plus court dans le groupe « ablation précoce » (HR

1,38 ; IC 1,13 -1,68 ; p = 0.001) avec un temps moyen de cicatrisation dans ce groupe de 56 jours, versus 82 jours dans le groupe « ablation différée ».

Le taux moyen de cicatrisation à un an est de 93,8 % dans le groupe ablation précoce, versus 85,8 % dans le groupe ablation différée.

La durée moyenne sans ulcère est de 306 jours dans le groupe ablation précoce, 278 jours dans le groupe ablation différée avec un taux de récidive un an de 11 % dans le groupe précoce et de 16,5 % dans le groupe différé.

Il n’y a en revanche pas de différence significative sur toutes les échelles de mesure de la qualité de vie.

Cette étude tend à démontrer que l’ablation précoce d’un segment veineux superficiel refluant chez un patient porteur d’un ulcère de jambe, associée à une compression élastique adaptée, réduit la durée de cicatrisation avec une durée de récidive sans ulcère à un an plus longue.

Une précédente étude publiée en 2007 (ESCHAR) avait démontré le bénéfice d’une intervention de type crossectomie-éveinage associé à la compression élastique sur la récidive d’ulcère à 4 ans, sans cependant de bénéfice significatif sur la durée de cicatrisation de l’ulcère (1).

Même si l’on concoit les multiples obstacles méthodologiques, cette nouvelle étude n’est pas exempte de critiques : important écrémage des patients randomisés par rapport aux patients examinés, ulcérations de petite taille, non randomisation des thérapeutiques d’ablation, imprécision quant à la compression élastique proposée qui ne semble pas avoir été standardisée dans les 2 groupes, absence de suivi écho-Doppler des patients du groupe « ablation différée » qui n’ont donc pas pu bénéficier de nouveau traitement en cas de résultats insuffisants. Cependant, la publication attendue de l’analyse médico-économique permettra peut-être de pardonner ces imperfections méthodologiques.

*Ndlr : MOCA (MecanOChemical Ablation) (ClariVein®) : associe une agression physique de l’endoveine avec un cathéter rotatif courbé et une agression chimique grâce à l’injection concomitante d’un sclérosant liquide.

Référence

1.     Barwell JR, Davies CE, Deacon J, Harvey K, Minor J, Sassano A, et al. Comparison of surgery and compression with compression alone in chronic venous ulceration (ESCHAR study): randomised controlled trial. The Lancet. juin 2004;363(9424):1854‑9.