Traitement anti-hypertenseur en fonction de différents niveaux de pression artérielle initiale, en prévention cardiovasculaire primaire et secondaire. Une méta-analyse de données individuelles.

Titre original : 
Pharmacological blood pressure lowering for primary and secondary prevention of cardiovascular disease across different levels of blood pressure: an individual participant-level data meta-analysis.
Titre en français : 
Traitement anti-hypertenseur en fonction de différents niveaux de pression artérielle initiale, en prévention cardiovasculaire primaire et secondaire. Une méta-analyse de données individuelles.
Auteurs : 
Blood Pressure Lowering Treatment Trialists' Collaboration.
Revue : 
Lancet. 2021 May 1;397(10285):1625-1636.

Traductions & commentaires : 
Dominique STEPHAN*



De nombreuses études épidémiologiques et essais cliniques ont montré l’association entre l’élévation de la pression artérielle (PA) et le risque cardiovasculaire, cependant le seuil de PA pathologique définissant l’hypertension artérielle (HTA) et conséquemment le niveau de PA cible sous traitement font l’objet de recommandations différentes au fil du temps et selon qu’on se place d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique. Ainsi, les recommandations 2017 de l’American Heart Association (AHA) et de l’American College of Cadiology (ACC) ont revu à la baisse le seuil définissant l’HTA et les objectifs tensionnels assignés aux hypertendus [1]. Selon ces recommandations la PA normale est <120/80 mmHg. Une PA comprise entre 120-129/80 mmHg est dite normale haute et selon les rédacteurs des guidelines, l'HTA est définie par une PA>130 et ou >80 mmHg (Tableau 1). Si les objectifs tensionnels ont été définis en fonction de ce que les patients étaient ou non à haut risque cardiovasculaire, ils se rejoignent in fine la cible étant une PA<130/80 mmHg chez tous les hypertendus à risque (diabétiques, insuffisants rénaux, prévention cardiovasculaire secondaire, etc.). Les recommandations publiées en 2018 par la société Européenne de cardiologie pour la prise en charge de l’HTA stipulent que chez les patients entre 18 et 65 ans, la PAS cible est <130 mmHg (y compris dans les populations à risque : diabète et insuffisance rénale) (Tableau 1) [2]. Ces recommandations mentionnent cependant que quelles que soient les comorbidités du patient (y compris le diabète) il ne faut pas abaisser la PAS clinique au-dessous de 120 mmHg. Selon les européens, chez l’hypertendu entre 65 et 79 ans, les objectifs doivent être moins drastiques et la PAS cible raisonnablement comprise entre 130 et 139 mmHg. Enfin, pour tous les patients la PAD cible est <80 mmHg. Ainsi, le seuil définissant l’HTA et l’objectif tensionnel à atteindre sous traitement ne sont pas uniformes selon les recommandations. Le concept de PA normale haute ou d’HTA de grade I à partir de 130/80 mmHg n’a pas été repris dans les recommandations françaises, certes un peu datées (2013). En effet, les preuves suggérant qu’il faille traiter une PA >130/80mmHg, en dehors des patients à haut risque cardiovasculaire, ne sont pas formellement établies.  

Ce numéro du Lancet (Lancet 2021; 397) livre une métanalyse du groupe de Oxford le Blood Pressure Lowering Treatment Trialist’s Collaboration (BPLTTC).  Ces épidémiologistes ont réalisé une méta-analyse des données individuelles de 344 716 patients, représentant tous les groupes humains du globe, inclus dans 48 essais cliniques randomisés de grande taille (≥1000 patients-années) réalisés de 1966 à 2019. Ils ont évalué l'effet de la baisse de la pression artérielle lorsque celle-ci était avant traitement inférieure aux valeurs seuils habituellement admises (140/90 mmHg) et comparé les effets du traitement antihypertenseur selon que les patients avaient ou pas une comorbidité cardiovasculaire (ATCD d’AVC, d’IDM ou de cardiopathie ischémique ou d’AOMI). Une stratification a été réalisée selon la PAS à l’inclusion identifiant 7 groupes tensionnels : <120, 120-129, 130-139, 140-149, 150-159, 160-169 et ≥170 mmHg. L'âge moyen des patients était de 65 ans, 49% des participants étaient en prévention primaire et 33% étaient en prévention secondaire. Chez les patients présentant une comorbidité cardiovasculaire, 75 % avaient des antécédents de cardiopathie ischémique, 36 % d'AVC, 12% d’AOMI et 27 % de diabète. Chez 37 % des patients présentant une comorbidité cardiovasculaire et chez 18 % des patients sans comorbidité la PA était inférieure à 130/80 mmHg à l’inclusion dans l’essai. Le critère de jugement principal retenu par nos auteurs était la survenue d’un événement cardiovasculaire majeur incluant : les AVC mortels et non mortels, une cardiopathie ischémique mortelle ou non mortelle et une insuffisance cardiaque ayant conduit au décès ou nécessitant une hospitalisation. Dans ces études, le suivi médian était de 4,1 ans et la PA moyenne à l'entrée dans l'étude était de 146/84 mm Hg chez les patients avec ATCD cardiovasculaires et de 157/89 mmHg chez les patients sans antécédents de maladie cardiovasculaire.

Les résultats de cette méta analyse ont montré des effets similaires du traitement antihypertenseur sur les événements cardiovasculaires que les patients soient en prévention primaire ou secondaire. Le risque relatif pour le critère d’évaluation principal, ajusté à une réduction de 5 mm Hg de PAS, était de 0,91 (0,89-0,94) chez les patients en prévention primaire et de 0,89 (IC à 95 % 0,86–0,92) chez les patients en prévention secondaire. La réduction de la PAS a également réduit le risque d’AVC, cardiopathie ischémique, insuffisance cardiaque et de décès cardiovasculaire indépendamment d’une comorbidité cardiovasculaire préexistante. Le bénéfice du traitement était similaire quelle que soit la strate de PAS à l’inclusion, sans différence entre les patients avec ou sans comorbidité cardiovasculaire associée.

L'étude du BPLTTC représente la plus grande méta-analyse de données individuelles actuellement publiée ayant mesuré les effets du traitement antihypertenseur en fonction du niveau de la PAS à l’entrée dans l’essai et de l’existence ou non d’une comorbidité cardiovasculaire. Dans cette méta-analyse, une réduction de 5 mmHg de la PA était reliée à une baisse d’environ 10% de la fréquence des évènements cardiovasculaires majeurs quelle que soit la valeur de la PAS de départ et la présence ou non d’une comorbidité cardiovasculaire. Le traitement semblait mieux réduire la fréquence de survenue des AVC et de l’insuffisance cardiaque que celle de la cardiopathie ischémique, sans phénomène de courbe en « J » comme le suggéraient les résultats obtenus dans la tranche PAS <130 mmHg à l’inclusion.

Ces résultats confortent et dérangent à la fois notre compréhension du traitement de l’HTA et de ces indications. La démonstration de la capacité du traitement à réduire le risque cardiovasculaire est confortée mais ce qui l’est moins c’est le niveau tensionnel à partir duquel il faut intervenir. Selon ces auteurs, le traitement antihypertenseur abaisse le risque cardiovasculaire indépendamment d’un seuil ce que démontre les réductions de risque obtenues pour les strates de PAS<130 ou <120 mmHg (Tableau 2). En conséquence de quoi, la question de traiter les patients à PA « normale haute » selon les américains ou simplement normale selon les européens pourrait se poser ! Ce résultat doit bien sûr être discuté car aucun essai clinique dans l’HTA n’a inclus de patient non hypertendu selon la définition en vigueur au moment de la réalisation de l’essai. Les résultats obtenus dans ces tranches de PA<140/90 mmHg l’ont été dans des essais cliniques spécifiques, réalisés chez des patients à haut risque cardiovasculaire (diabétiques, insuffisants rénaux ou ATCD cardiovasculaires). Ainsi l’essai SPRINT a inclus des patients de 50 ans et plus, dont la PAS était comprise entre 130 et 180 mmHg et qui additionnaient un facteur de risque supplémentaire : insuffisance rénale, ATCD cardiovasculaire (à l’exception des AVC), haut risque cardiovasculaire selon Framingham [3]. Ces patients ont été randomisés dans un groupe « Traitement standard » : PAS < 140 mmHg et un groupe « Traitement intensif » : PAS < 120mmHg. Le groupe des patients « Traitement intensif » a bénéficié d’une spectaculaire réduction de 25% de la fréquence des évènements cardio-vasculaires majeurs [3]. Antérieurement, l’essai HOPE avait montré, chez des patients à haut risque cardiovasculaire qui ne comptaient que 50% d’hypertendus, le bénéfice sur la morbi- mortalité cardiovasculaire du ramipril, un antihypertenseur de la famille des inhibiteurs de l’enzyme de conversion [4]. A contrario du paradigme « lower is better », les résultats de l’essai ACCORD pratiqué chez des diabétiques à haut risque cardiovasculaire chez lesquels l’objectif tensionnel était <120 mmHg ont montré un excès d’évènements cardiovasculaires par rapport au contrôle « objectif standard » [4].

Ce travail a des limites :  1) les effets indésirables des traitements antihypertenseurs n’ont pas été répertoriés dans cette méta analyse or la décision de traiter doit être prise après estimation de la balance bénéfice/risque du traitement ; 2) la compilation d’essais cliniques réalisés sur une période de 40 ans, période pendant laquelle des progrès importants dans le design des molécules hypertensives sont intervenus, notamment l’avènement des bloqueurs du système rénine angiotensine (BSRA), expose naturellement à une hétérogénéité des résultats. Il est devenu évident qu’à réduction tensionnelle égale, tous les antihypertenseurs n’avaient pas les mêmes propriétés, notamment sur la fréquence de survenue des AVC ou l’incidence des nouveaux cas de diabète (ce dernier point n’ayant pas été mesuré dans cette méta analyse). Les BSRA mais aussi les statines et les antiplaquettaires se sont imposées dans la prévention cardiovasculaire chez les patients à haut risque. Si le propos des auteurs est de souligner que la décision de traiter doit s’appuyer sur l’estimation du risque cardiovasculaire global plus que sur le niveau tensionnel proprement dit, cela soulève deux remarques et une question :

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L’utilisation d’un BSRA (combiné le cas échéant à une statine et à un anti-plaquettaire) doit être recommandée chez les patients à haut risque cardiovasculaire.

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La prescription d’un antihypertenseur est susceptible de provoquer des effets indésirables liés à la baisse tensionnelle.

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Quel outil d’estimation du risque cardiovasculaire global simple et pratique faut-il recommander au praticien dans sa pratique quotidienne ?

*Hypertension & maladies vasculaires, CHRU Strasbourg.

 

Références

1.     

AHA/ACC 2017 Guideline for the Prevention, Detection, Evaluation, and Management of High Blood Pressure in Adult JACC 2018;71:e127-e248.

2.     

ESC guidelines for the management of arterial hypertension. European Heart Journal (2018) 39, 3021–3104.

3.     

The SPRINT study group. A randomized trial of intensive versus standard blood-pressure control. N Engl J Med 2015;376:2103-16.

4.     

The Heart Outcomes Prevention Evaluation Study Investigators. Effects of an Angiotensin-Converting–Enzyme Inhibitor, Ramipril, on Cardiovascular Events in High-Risk Patients. N Engl J Med 2000; 342:145-153.

5.     

Genuth S and Ismail-Beigi F. Clinical Implications of the ACCORD Trial. J Clin Endocrinol & Metabolism 2012 ;97:41–48.

6.     

ASCOT investigators.Prevention of cardiovascular events with an antihypertensive regimen of amlodipine adding perindopril as required versus atenolol adding bendroflumethiazide as required, in the Anglo-Scandinavian Cardiac Outcomes Trial-Blood Pressure Lowering Arm (ASCOT-BPLA): a multicentre randomised controlled trial. Lancet 2005 ;366 :895-906.